Qui étaient nos ancêtres ?
de fontaines potables, de ponts et de gués tarifés que d’églises ou de chapelles miraculeuses. Enfin, arrivés à destination, c’était souvent le « sprint final », pour savoir lequel de la compagnie entrerait le premier dans la cathédrale.
Tout au long de leur route, ces pèlerins recevaient traditionnellement aide et protection. Malheur, disait-on, à qui leur refuserait un pain ; il le verrait se transformer en pierre, et l’on citait un habitant de Poitiers qui leur avait refusé l’hospitalité et avait vu sa maison détruite par un incendie. De ce fait, le pèlerin était toujours bien accueilli, et il l’était d’autant plus qu’il était reconnaissable. Revêtu de son long manteau sans manches (l’ancêtre de nos « pèlerines »), qui, la nuit, lui servait de couverture, il tenait en main un lourd bâton (le « bourdon »). À sa ceinture pendaient la besace et la gourde, et les plus riches se protégeaient des pluies et du soleil sous un large chapeau. Sur le chemin du retour, il ajoutait, cousue à sa robe ou à son chapeau, en symbole de son voyage, une coquille de Saint-Jacques. Il n’en fallait pas plus pour que voleurs et larrons en profitent et, revêtus de cet uniforme et parés de coquilles, abusent les villageois. On les appelait des « coquillards » et plus communément des « coquins » (telle est l’origine de ce mot) et s’ils étaient arrêtés, ils étaient souvent condamnés à être bouillis vifs.
Tous ces gens allant et venant par les chemins apportent à nos ancêtres des campagnes de formidables ouvertures vers l’extérieur : le tailleur d’habits et plus tard l’épicier effectuant leurs tournées se chargent volontiers de courses, rapportant de la ville les rares articles – chers et recherchés – que leurs clients ruraux ne fabriquent pas eux-mêmes, qu’il s’agisse des feuillets de papier du procureur ou des joyaux de pacotille que le fiancé offre à sa belle… Le colporteur aussi contribue à répandre les modes. N’est-ce pas lui qui diffusait, au XIX e siècle, cachés dans un des tiroirs les plus secrets de sa hotte, les « noisettes », terme sous lequel on nomme alors… les préservatifs ?
Mais plus encore, ces voyageurs apportent des ouvertures au plan politique, culturel et humain. Comme, au Moyen Âge, les troubadours contaient les exploits des gens de guerre, ce sont les colporteurs qui diffuseront les almanachs, souvent entièrement imprimés de pictogrammes à l’intention de la grande masse des illettrés, et les petits livrets de la Bibliothèque Bleue. Plus généralement, leurs ventes faites, ce sont eux qui donneront, autour d’un verre de gnaule, des nouvelles du monde extérieur, de la cour, des guerres et de la politique. Ce colporteur, sous le toit de nos ancêtres, joue un peu le rôle du speaker du journal télévisé. À la différence que ce journal n’a que deux ou trois éditions par an, mais alors le temps va moins vite et l’actualité est (ou du moins semble avoir été) nettement moins dense.
À bien des égards, donc, le monde de nos ancêtres paraît être longtemps resté un monde immobile, bien que sans cesse visité par une armée allant et venant, arrivant d’un autre univers et comme d’une autre planète : la ville. Il ne commencera à évoluer qu’au milieu du XIX e siècle, par la multiplication, dans nombre de cités, des ateliers engendrés par la révolution industrielle. Ces ateliers, en effet, attireront et épongeront l’énorme trop-plein démographique des campagnes, de plus en plus saturées du fait de la régression de la mortalité, et surtout de la mortalité infantile, résultant d’une meilleure hygiène et de meilleures conditions de vie.
C’est le début de l’exode rural. Des décennies durant, il ne va cesser d’enfler à la faveur de la stupéfiante évolution des moyens de transport. Dans la seconde moitié du XIX e siècle, grâce au prodigieux et tentaculaire réseau ferré, la moindre paroisse de campagne va se trouver reliée au pôle d’attraction régional, voire à Paris, par une journée de voyage. Les paysans hésitent d’autant moins à emprunter ce mode de déplacement que nombre d’entre eux ont eu l’occasion – mauvais numéro oblige – de quitter leur village pour aller, parfois très loin, faire leur service militaire. Le Morvandiau Claude Doridot est parti sept ans au Sénégal, le zouave Gabriel Chesnard est passé de l’Oranie
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