Qui ose vaincra
d’une unité régulière, ils
risquent fort, en effet, de redevenir belliqueux.
« C’est bon, décide
Thomé. Vous et vos parachutistes vous vous présenterez dans trois heures au
carrefour de Bellevue. Entre-temps j’aurai avisé mon colonel, deux compagnies
vous y attendront. Mais attention : arrivez sans armes et les mains en l’air.
Sinon, je ne réponds de rien.
— Rien à faire !
tranche le « capitaine météo ».
— Qu’est-ce qui ne
va pas ?
— Je ne retourne
pas donner un rendez-vous à mes camarades. Ils veulent se rendre tout de suite.
Ils m’ont dicté des consignes, ils veulent que vous les accompagniez à votre P.C.
— Mais ça revient
au même ! Je n’ai aucune envie de convoyer tout seul soixante-dix soldats
ennemis. Suivez mes instructions et ne discutez pas.
— Rien à faire, reprend
l’Allemand buté, en s’asseyant sur une grosse pierre avec une moue d’enfant
chagriné. Vous ne les connaissez pas. Ce sont des brutes. Quand ils décident
quelque chose, il n’est pas question de parlementer. Ils veulent se rendre tout
de suite. Si je les déçois, ils vont me massacrer.
— Vous vous foutez
de moi ?
— Pas du tout. Réfléchissez,
qu’est-ce que vous risquez ? Ils ont eu vingt fois l’occasion de vous tuer.
Et moi-même, tout à l’heure, j’aurais pu vous tirer dans le dos. »
Thomé réfléchit. Effectivement,
l’Allemand est logique. Et puis quelle rigolade de ramener à la ferme
soixante-dix parachutistes ennemis ! Il pense à la gueule du sergent Klein,
à celle des « zazous ».
« D’accord, décide-t-il.
Que vos amis me rejoignent ici deux par deux, à trois mètres de distance les
uns des autres, sans armes, et les mains en l’air avec évidence. »
L ’incroyable se produit. Moins
d’un quart d’heure plus tard, la colonne se présente. Les hommes bras levés
sont conduits par un sous-officier, un Feldwebel bardé de décorations. Thomé
les laisse passer, commande à « l’officier météo » de demeurer derrière
avec lui pour transmettre les ordres de direction. L’insolite équipage parcourt
trois kilomètres à travers bois. Il arrive à portée de voix de la ferme
Bouguennec.
« Halte ! »
ordonne Thomé, puis il hurle en direction de la ferme : « Klein ! »
Silence. Le lieutenant
reprend, les mains en porte-voix :
« Lucien ! Nom
de Dieu ! »
Le jour commence à pâlir.
Suivi du caporal-chef Paul Clément, Klein cherche à situer le sens de l’appel.
« Par ici, gueule
Thomé. J’avance avec des prisonniers, ne tirez pas !
— C’est le
lieutenant, reconnaît Klein. Qu’est-ce que c’est encore que cette salade ? ».
Il arme sa Sten. Clément
l’imite. Les autres sortent, sur la défensive ; vite ils se rassurent en
distinguant les bras levés des Allemands.
« Ben merde, alors !
Où avez-vous déniché tout ça, mon lieutenant ? » bafouille Klein
médusé.
Thomé ne répond pas. Il
s’adresse à l’interprète. « Faites-les asseoir par terre, et qu’ils
conservent les mains sur la nuque. »
Le « capitaine
météo » traduit l’ordre. Docilement le troupeau s’exécute. Thomé attire
Klein à part.
« Envoie un « gus »
prévenir Lehir qu’il rapplique en force. On va lui faire un cadeau.
— Un chouette
cadeau !
— Tu parles ! Regarde-les
de plus près : c’est du beau linge, des parachutistes.
— Vous me charriez…
— Va voir leurs
insignes. Tu crois pas que je me serais fatigué à trimbaler de l’intendance ? »
André Le Nabour a déjà
reconnu les insignes, il braille à la cantonade :
« Eh ! les
gars, venez mater un peu ! C’est des copains ! »
Lehir arrive vers 8
heures du soir avec dix hommes armés. Hélas ! il se montre formel :
« Moi, j’en veux
pas, mon lieutenant ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en foute ! J’ai
déjà suffisamment de problèmes pour nourrir mes hommes. Je sais parfaitement ce
que je vous dois, je ferai tout pour vous rendre service et vous être agréable,
mais m’encombrer de soixante-dix prisonniers, pas question ! »
Après un nouveau regard
vers le troupeau, il ajoute sur un ton de concession :
« Je veux bien
prendre leurs bottes, mais c’est vraiment tout ce que je peux faire pour vous…
— Mais qu’est-ce qu’on
va en foutre ? se lamente Thomé. Je ne vais tout de même pas les buter.
— Allez voir les F.T.P.,
suggère Lehir, mais je ne pense pas que vous ayez beaucoup plus de
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