Qui ose vaincra
soupçonneux, les trois soldats qui s’avancent sous le déluge.
« Vingt dieux, grince-t-il, v’là les Boches qui s’amènent. »
Le sourire de Mauduit lui fend le visage lorsqu’il frappe à la porte. Eugène ouvre. Sa lourde carrure interdit l’accès du logis.
« Nous sommes des soldats français, explique le capitaine. Nous arrivons de Londres. Pourriez-vous nous permettre d’entrer ? Nous sommes épuisés et transis. »
Eugène dévisage les soldats. Il est fasciné par les uniformes inconnus. Un mécanisme confus se déclenche dans son cerveau épais. Il dit : « J’vais voir ça. Attendez. »
Et il referme la porte, laissant les parachutistes sous la pluie.
La mère Yvonne a assisté, muette, à la scène. Pour elle il n’y a aucun problème, sa conviction est faite.
« Ce sont des Français, Eugène, des soldats d’Angleterre comme Noël et Yves. Tu vas tout de même pas les laisser dehors. »
Eugène explose : « Vous autres, les bonnes femmes, c’est pas difficile de vous tromper ! C’est des Allemands tes Français, des Allemands déguisés en Français ! V’là ce que c’est.
— Voyons, Eugène, pourquoi dis-tu ça ?
— J’en ai entendu causer, je me tiens au courant, moi. Voilà pourquoi je dis ça : des Allemands qui se déguisent, tu les aides, et puis ils t’arrêtent. Ceux-là, c’est rien d’autre. »
Yvonne connaît son mari.
Elle sait bien qu’il est inutile de le faire revenir sur son idée fixe, elle tente un biais.
« Français ou Allemands, tu vas pas les laisser sous la pluie ! »
Eugène semble fournir un effort de réflexion considérable, puis sa face rougeaude s’éclaire, apaisée : « J’vas leur montrer moi ! Y m’ont pris pour un couillon, j’vas leur faire voir qu’à malin, malin et demi. »
Il ouvre la porte et déclare sèchement :
« Ça va, entrez, vous autres. »
Les parachutistes ne se le font pas dire deux fois. Ils se précipitent vers l’âtre, exposant aux flammes leurs battle-dress imprégnés d’eau.
« Vous casserez bien la croûte, mes amis, propose la fermière pour qui l’identité des soldats n’a jamais fait le moindre doute depuis leur arrivée.
— C’est ça, cassez la croûte tranquillement, les gars, annonce Eugène, moi je passe ma vareuse et je vais de ce pas à la kommandantur prévenir les Allemands que j’ai des terroristes chez moi. »
Créau arme discrètement sa mitraillette. Mauduit est stupéfait ; il tente : « Non seulement je suis français, mais je suis breton comme vous, mon brave. Je m’appelle Henri de Mauduit près de Paimpol. »
Eugène lance un regard rusé.
« Dame, comme ça c’est différent. Vous parlez breton bien sûr ? Si vous êtes de Paimpol, on va pouvoir causer. »
Mauduit mort ses lèvres, Créau lève doucement son arme.
« Hélas ! non, je ne parle pas le breton, je le regrette, mes parents m’ont fait étudier l’anglais et l’allemand.
— Ça, que vous causiez allemand, j’en doute pas », lance Eugène.
Mauduit comprend brusquement. Son sourire réapparaît sur son visage ; il s’en veut d’avoir pris, l’espace d’un instant, cet homme – son compatriote – pour un traître. Il dit doucement :
« Ainsi c’est ça !
Vous ne me croyez pas, vous nous prenez pour des Allemands. »
Il se retourne vers ses hommes :
« Donnez-moi vos armes tous les deux. C’est un ordre. »
Les deux parachutistes s’exécutent sans conviction. Mauduit pose sur la table les deux mitraillettes ; il tend la sienne au vieux paysan.
« Tenez, mon vieux, vous avez sûrement fait l’autre guerre et vous savez donc vous servir d’une arme. Si vraiment vous nous prenez pour des Allemands, vous n’avez qu’à tirer. C’est votre devoir. En attendant que vous vous décidiez, ajoute-t-il gaiement, je vais accepter l’offre de la patronne, je casserais bien la croûte. »
Violland pense : le capitaine est devenu complètement dingue, ce vieux con borné est capable de nous allumer comme des riens.
Mauduit semble n’avoir jamais été aussi à l’aise de sa vie. Sans un regard vers le fermier qui tient la mitraillette, complètement décontenancé, le capitaine suit avec délices les mouvements d’Yvonne qui dispose devant lui un pâté de lapin, une boule de gros pain, un verre et une bouteille de cidre.
« Vous devez bien connaître le père Lefloch si vous êtes de Paimpol, finit par articuler Eugène, toujours sur la réserve, toujours du ton méfiant de celui à
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