Raimond le Cathare
pouvait lui faire perdre son
droit de propriété. Nous avons enjoint à l’armée chrétienne qui opère selon nos
prescriptions, contre les hérétiques, de ne pas toucher à son domaine…»
Les mots se perdent dans le bruit
des conversations. Les évêques se sont levés et se dirigent déjà par petits
groupes vers la porte de la salle capitulaire. Pour eux, la cause est entendue.
Le sang me monte à la tête et bat
dans mes tempes. À mes yeux viennent soudain des larmes de désespoir et de
colère.
Maître Thédise pointe alors son
doigt sur moi. Sa voix résonne sous la voûte.
— Ce ne sont pas des larmes de
dévotion ou de repentir ! Rappelle-toi le Psaume : « Dans le
déluge de tes grandes eaux tu ne te rapprocheras pas du Seigneur ! »
Je n’entends pas la suite de ses
imprécations. J’ai déjà quitté la salle de l’abbaye Mes hommes m’aident à
monter en selle et je pars aussitôt en lançant mon cheval au galop. Nous
sortons de Saint-Gilles pour regagner Toulouse. Durant des heures je ne veux
parler à personne tant la rage et la honte me nouent la gorge.
Toulouse, septembre 1210
Les huit journées de voyage n’auront
pas été de trop pour me permettre de reprendre mes esprits.
Fort heureusement, Toulouse s’est
apaisée après les heurts de cet hiver entre les deux confréries.
Arrivés au château Narbonnais, nous
nous réunissons pour choisir une attitude face aux nouvelles circonstances.
Aller voir le pape ? Bertrand
et Raimond de Rabastens me convainquent aisément de l’inutilité d’un nouveau
voyage à Rome.
— Au pire, le Saint-Père ne
vous recevra pas. Au mieux, il vous renverra devant le concile. C’est un
juriste et il ne sortira pas de la procédure qu’il a lui-même ordonnée.
Aller voir le roi de France ?
— À quoi bon tous ces
voyages ? demande d’Alfaro. L’hiver dernier, vous avez passé plusieurs
mois loin d’ici : pour quel résultat ? Le roi vous assure de son
amitié, mais il laisse ses vassaux s’emparer des terres de nos voisins et
menacer les nôtres. Le pape vous parle comme à un fils mais il donne à Arnaud
Amaury la liberté de dévoyer ses directives.
— Et pendant votre absence,
Foulques agite les extrémistes pour diviser les Toulousains et affaiblir la
ville, ajoute mon fils Bertrand.
Ils ont raison. Ces interminables
voyages sont inutiles et épuisants pour un homme de cinquante-cinq ans, ruineux
pour qui doit entretenir un accompagnement de valets, d’hommes d’armes, de
cavaliers et de conseillers.
Je ne veux plus m’éloigner aussi
longtemps de Toulouse pour des résultats illusoires.
— Qu’on le veuille ou non,
c’est avec nos ennemis directs, Amaury et Montfort, que je dois traiter ou me
battre. Et c’est avec nos alliés proches que je dois m’entendre. Nous avons de
notre côté Pierre d’Aragon, le comte de Foix, le comte de Comminges. L’Aragon,
les Pyrénées et Toulouse, s’ils s’unissent, peuvent tenir tête au légat et au
prédateur.
— Si nous avions commencé
ainsi, nous n’en serions pas là et Trencavel serait toujours vivant à nos
côtés, soupire d’Alfaro.
Toujours prêt à se battre, il fait
partie de ces hommes qui, entre la guerre et une solution politique,
choisissent toujours la guerre. Au contraire, je tente toujours de l’éviter.
Raimond de Ricaud demande la
parole :
— Arnaud Amaury sans Montfort
ne peut rien contre nous. Il n’y a donc qu’une seule question : jusqu’où
Montfort veut-il aller ?
— Jusqu’à Toulouse !
grogne d’Alfaro en haussant les épaules pour souligner l’évidence de sa
réponse.
— En sommes-nous sûrs ? Ne
pouvez-vous pas imaginer que les immenses territoires qui lui ont été confiés
l’an dernier puissent le satisfaire ? N’a-t-il pas suffisamment de
difficultés pour maîtriser son domaine ?
Le nid d’aigle
Termes, automne 1210.
Depuis six semaines, Montfort est en
fâcheuse posture sous les remparts de Termes, qui surplombent des gorges
vertigineuses au fond desquelles résonne le fracas des torrents.
Raimond de Termes, totalement acquis
à l’Hérésie, a accueilli dans son refuge plusieurs dizaines de Bons Hommes.
Cousin de Guillaume de Minerve, récemment vaincu, et instruit par la défaite de
son parent comme par celle de Trencavel à Carcassonne, il s’est préparé à
résister à l’armée croisée : toutes les citernes sont pleines. La
forteresse est gorgée de
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