Raimond le Cathare
le mariage promis avec sa fille Amicie.
En le voyant, je songe aux
circonstances divertissantes de sa conception. C’était ici même, dans ce
château, il y a quatre ans. Pierre négligeait Marie, qu’il n’avait épousée que
par intérêt, afin de rattacher Montpellier au royaume d’Aragon et de prendre
pied au nord des Pyrénées. Après trois ans de mariage, aucun héritier n’était
venu confirmer par sa naissance la réalité de leur union. Pierre s’intéressait
trop aux femmes pour prêter attention à la sienne. C’était devenu chez lui un
travers de caractère. Le roi d’Aragon se prêtait à toutes celles qui
s’offraient, sauf à Marie. Déjà nommée par la cour et par la rue la
« reine sainte », Marie ne recherchait pas le plaisir mais
l’ensemencement, dans le guet-apens qu’elle lui tendit.
Nul n’ignorait que Pierre désirait
ardemment posséder une jeune et noble dame qui séjournait dans la ville. Et les
regards lancés au roi par cette belle brune étaient autant d’appels et de
promesses. La conquête étant imminente, Pierre laissait au hasard le soin de
nouer les circonstances de la rencontre. Marie vit dans cette opportunité une
occasion providentielle.
Un soir de juin 1207, un serviteur
apporte un message à Pierre. À peine l’a-t-il lu que le sang vient battre ses
tempes et que le trouble noue son ventre. La lettre lui dit que la belle
l’attend, nue, dans une chambre obscure. Elle le supplie d’accourir sans bruit
et sans lumière. Pierre, laissant ses interlocuteurs bouche bée, se lève
précipitamment. Refusant d’être accompagné par les porteurs de torche, il se
dirige à tâtons vers la chambre où il entre sans bruit. Dans la pénombre, il
trouve enfin l’objet de son désir, dont il s’empare aussitôt. Croyant posséder
l’amante, il engrosse sa femme.
Neuf mois plus tard, Marie d’Aragon
mettait au monde le petit Jacques, que son père va aujourd’hui confier à Simon
de Montfort.
*
* *
Nous devons partir vers le palais
épiscopal, entendre ce que Foulques et les légats ont à nous dire. Le roi
ajuste son bonnet de cuir décoré de pierres précieuses. Je boucle mon manteau
doublé de peau de renard et nous montons en selle.
En chemin, Pierre s’efforce de me
rassurer.
— Je suis votre allié, alors
que Montfort n’est que mon vassal. Je suis votre beau-frère et nous devrions
encore renforcer ce lien.
Mon fils, Raimond le Jeune, a déjà
quatorze ans. Sa fiancée, Sancie d’Aragon, la jeune sœur du roi et de ma femme
Éléonore, est sur le point de sortit de l’enfance. Nous nous promettons de les
marier dans l’année.
Hugues d’Alfaro et Raimond de
Rabastens se joignent à nous. Dans une lumière blafarde, le long des rues
désertes, sur un sol glissant, nous cheminons vers les légats. Leurs
convocations incessantes nous lassent. Obligés d’y déférer, sous peine des
foudres pontificales, nous entendons toujours les mêmes injonctions :
persécuter les hérétiques, écarter les juifs, renvoyer nos soldats, renoncer à
percevoir nos ressources.
— Cette fois encore, nous
devons filer entre leurs doigts. Je n’accepterai pas leur décret, mais je ne le
refuserai pas. Je ne l’appliquerai pas. Voilà tout !
L’homme d’Église n’est pas
inquiet :
— Nos adversaires ont réussi à
bloquer la procédure fixée par le pape en refusant de vous entendre au concile
de Saint-Gilles. Mais ils n’ont toujours pas le pouvoir de vous condamner et de
vous exposer en proie. Innocent III ne leur a pas donné ce droit Messire, vous
n’avez rien à craindre de plus que les admonestations habituelles, assure
Raimond de Rabastens.
Malgré la neige et le froid, une
petite foule est réunie dans la cour du palais de l’évêque. Planté droit sur le
perron, Arnaud Amaury nous fait signe d’avancer vers lui Quand nous arrivons au
pied de l’escalier de pierre, il nous arrête d’un geste. Dépliant son bras, il
tend un rouleau de parchemin qu’il pointe vers ma poitrine, comme s’il me
tenait au bout de son glaive. Sans un mot, il met le rouleau dans la main d’un
clerc qui descend précautionneusement les quelques marches tapissées de neige.
Je demande à Raimond de Rabastens de lire l’arrêt du légat. Je ne veux souiller
ni mes yeux ni ma bouche. Raimond tousse pour éclaircir sa voix, tout en
parcourant le texte d’un regard rapide où je vois poindre une expression
d’incrédulité, puis une lueur
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