Raimond le Cathare
Arnaud Amaury dans le palais épiscopal. Le roi
d’Aragon, le comte de Foix et Simon de Montfort sont là. Le légat est assisté
de Foulques et de ceux qui m’ont empêché de me disculper devant le concile de
Saint-Gilles.
Les hommes d’Église reviennent à la
charge pour contraindre Pierre d’Aragon à reconnaître Simon » de Montfort.
Le roi s’y refuse depuis dix-huit mois.
Philippe Auguste ayant la même
attitude, l’usurpateur ne bénéficie que d’une légitimité bancale.
Soudain, Simon de Montfort se jette
aux pieds du roi. Le redoutable soldat se fait implorant. Il joint les mains et
lève un regard de supplication vers Pierre. Plus habitué à voir des femmes à
ses genoux, mon beau-frère est décontenancé. L’insistance du pape et des
légats, les soucis que lui donnent les batailles de la reconquête, son désir
d’exercer une influence au nord des Pyrénées le portent au compromis. De guerre
lasse, il accepte Montfort comme vassal. Les clercs soupirent de soulagement
L’usurpateur désormais légitime s’incline avec gratitude. Pierre se lève et
détourne les yeux pour fuir mon regard qui l’interroge sans complaisance :
qu’est-il advenu du héros ?
Simon de Montfort vient de remporter
à genoux l’une de ses plus grandes victoires.
C’est un succès politique, juridique
et militaire. Pierre et lui sont unis, désormais, par les liens du serment. Les
droits de Montfort sur la vicomte Trencavel sont reconnus, non seulement par le
pape, mais aussi par le roi d’Aragon.
Afin de sceller cette
reconnaissance, Montfort annonce aussitôt qu’il envoie une troupe de chevaliers
se battre dans les armées de Pierre, contre les Almohades. De leur côté, les
légats suggèrent de fiancer le fils du roi, Jacques d’Aragon, à Amicie de
Montfort, à peine sortie du berceau. Montfort demande à son seigneur de lui
confier l’éducation de son fils. À ma grande stupeur, Pierre accepte.
Inclinant vers moi son long visage
émacié, Arnaud Amaury me propose alors de lever mon excommunication, de
garantir le respect de mes titres et de mes terres et, enfin, d’ajouter à mes
possessions toutes celles que nous confisquerions aux hérétiques désignés par
l’Église.
Tout ceci ayant pour prix la
persécution que je refuse d’accomplir, je décline une nouvelle fois l’offre du
légat.
— Moi, Raimond de Toulouse, je
ne veux pas devenir l’instrument d’une injustice contre les gens de mon pays.
Les lèvres du légat se pincent.
C’est sur ce refus que nous nous séparons sèchement à Narbonne, au début de
l’année.
La charte infâme
Montpellier, mars 1211.
Arnaud Amaury nous convoque à
nouveau, cette fois à Montpellier. Il neige. Une couche épaisse estompe les
formes de la cité. Le ciel est bas, gris et morne.
Montpellier appartenant à Pierre
d’Aragon, mon beau-frère m’héberge dans son château dont les étages dominent
les toits couverts de neige. Je suis arrivé tard dans la nuit. Au matin,
revêtus d’épais manteaux fourrés, Pierre et moi réchauffons nos doigts sur le
bol de bouillon chaud que l’on vient de nous apporter.
C’est la première fois que je revois
le roi depuis qu’il a accepté de reconnaître Simon de Montfort. Il me jure
qu’il ne m’a pas abandonné.
— Messire Raimond, mon frère,
je suis engagé dans une affaire difficile contre les sarrasins. Je dois y
consacrer toutes mes forces. Les Maures m’ont infligé des revers, mais je vais
lancer contre eux l’attaque dans laquelle se jouera le destin de mon royaume.
Enfant chéri d’Innocent III, il
porte les espoirs de l’Église dans la guerre de reconquête. Pour gagner la
bataille au sud, il a choisi de faire la paix au nord, où il déploie une active
politique matrimoniale. Il a épousé Marie de Montpellier. Il m’a accordé la
main de sa sœur, il promet à Simon de Montfort le mariage de leurs enfants. Par
les femmes, il étend son influence, au-delà des Pyrénées, au détriment du roi
de France. Pierre II, à peine âgé de trente ans, ambitionne d’être un
grand souverain. Peut-être rêve-t-il secrètement d’être un jour le plus grand
roi de l’Occident chrétien.
Pendant que nous parlons, une
matrone aux grosses joues rougies par le froid entre dans la salle en tenant
par la main le petit Jacques d’Aragon, qui tend les bras vers son père.
L’enfant, âgé de trois ans, va donc être confié à Montfort afin qu’il l’élève
avant
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