Raimond le Cathare
femmes et des
enfants. « Nous allons assiéger ce traître à Carcassonne et nous
l’écorcherons comme un porc ! » crient les paysans, houspillant leurs
mulets.
Les chefs français, mus par leur
instinct guerrier, sont sortis de Carcassonne pour marcher sur nous. Enfermés
dans les murs de la cité, ils auraient été piégés comme des rats. Leur
cavalerie, dont la mobilité fait la force de Simon de Montfort, aurait été
inutilisable. Ils choisissent donc de provoquer l’affrontement sur un champ de
bataille ouvert, à Castelnaudary.
Saisi par l’inquiétude à la vue des
bannières ennemies, je choisis une tactique immobile et défensive. Je donne
l’ordre d’édifier sur la pente du coteau un vaste camp retranché. On érige des
murs de planches, on creuse des fossés profonds, on plante des hérissons de
pieux pointus, on bâtit les machines de jet. Une ville se dresse, construite en
quelques heures par des milliers d’hommes.
Dans mon pavillon, plus vaste que la
salle d’un château, le comte de Foix s’emporte :
— Nous étions partis assiéger
Carcassonne et nous voilà à mi-chemin, blottis comme des lapins, derrière nos
lices. Demain, j’attaque !
Le lendemain, nos éclaireurs nous
annoncent l’arrivée prochaine d’une centaine de chevaliers et d’un convoi de
ravitaillement venant de Lavaur pour porter secours à Simon de Montfort.
Aussitôt Raimond Roger de Foix, son
fils et ses hommes sortent de notre camp et se déploient pour leur barrer la
route de Castelnaudary. Le Comte roux, dressé sur ses étriers, harangue ses
troupes.
— Ces maudits étrangers ne
devraient pas peser plus lourd qu’une châtaigne en nos pognes ferrées.
Tuons-les ! Que le bruit de nos armes épouvante l’Anjou, la France et la
Bretagne ! Que leur mort serve enfin de leçon salutaire jusqu’en terre
allemande !
Et voici soudain les renforts
français. Ils sont beaucoup moins nombreux que les nôtres. À leur tête,
Bouchard de Marly est accompagné de Martin Algai. Ce routier jouit d’une
redoutable réputation de cruauté. Le guerrier observe le vol d’un grand faucon
blanc qui plane de la gauche vers la droite, avant de se perdre au loin. C’est
un présage pour Algai, qui se penche vers Bouchard de Marly.
— Messire, c’est bon augure. Le
vol de cet oiseau nous promet la victoire. Mais la mort frappera durement dans
nos rangs. Vous serez éprouvé avant d’être vainqueur.
— Je m’attends à souffrir mais
crois-moi : ceux d’en face vont pleurer du sang noir !
Ils chargent aussitôt pour compenser
la faiblesse de leurs effectifs par la rapidité de l’assaut. Au même moment,
Simon de Montfort et la vingtaine de chevaliers qui campaient avec lui à
Castelnaudary sortent au galop. Ils fondent sur les soldats du Comte roux,
qu’ils prennent à revers. Les nôtres ont l’avantage du nombre mais, luttant sur
deux fronts, ils ne savent contre qui tourner leurs épées. Le combat est
sauvage.
Peu à peu, les nôtres prennent le
dessus. Au cri de « Toulouse ! », la victoire est à portée de
l’épée. L’ennemi est sur le point d’être englouti dans cette bataille où
Montfort et ses principaux compagnons sont enfin à notre merci. Défendant leur
peau comme des diables, ils sont englués au milieu des piétons du comte de Foix
qui brandissent leurs lances. Nos hommes tombent sous les coups des cavaliers
français qui les hachent du tranchant de leur épée, mais ils sont si nombreux que
l’ennemi va finir par succomber, assailli par la multitude des routiers coupant
les jarrets ou perçant les flancs des montures.
Le cours de l’Histoire tient, hélas,
à peu de chose. En la circonstance, quelques jambons, pâtés et barriques de vin
vont ruiner nos chances. À cinq cents pas du lieu de la bataille, les chariots
de ravitaillement ont été laissés sans escorte. Leurs chevaux au repos broutent
paisiblement sans un regard pour leurs congénères caparaçonnés qui, un peu plus
loin, s’affaissent, les tendons sectionnés, ou piétinent le ciel de leurs
sabots, leur ventre ouvert libérant d’interminables boyaux puants. Une poignée
de routiers navarrais sans scrupule abandonnent le combat pour aller s’emparer
des provisions. Ils ne doutent pas de la victoire et veulent arrondir leur
solde grâce à ce butin. Les premiers servis détalent dans la campagne, un
jambon sous chaque bras. Leurs compagnons, saisis à leur tour par la convoitise
et ne
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