Raimond le Cathare
pays.
Campé sur ses jambes, le torse fier,
la barbe épaisse, la voix puissante, Montfort lit la proclamation par laquelle
il s’empare de nos terres.
Nous, Simon, seigneur de Montfort,
comte de Leicester et, par la grâce de Dieu, vicomte de Béziers et de
Carcassonne, seigneur d’Albi et du Razès, soucieux de faire régner en ce pays
l’ordre et la paix à l’honneur de Dieu, de la sainte Église romaine et du roi
de France, fixons sur notre terre les coutumes suivantes et ordonnons qu’elles
soient par tous observées !
Toute usurpation est intolérable.
Mais celle-ci est la plus odieuse qui soit, car elle s’accompagne d’un viol de
tous nos principes de vie et de gouvernement Ce n’est pas seulement le comte et
les vassaux qui lui sont fidèles que l’on dépouille. Tout le peuple est asservi
sous cette loi, inspirée de celle qui fut imposée par la croisade dans le
royaume franc de Jérusalem en Terre sainte il y a plus d’un siècle.
Notre terre ne sera plus le pays des
libertés. L’âme, l’esprit et le cœur y subiront le joug de l’envahisseur. Les
hérétiques seront pourchassés, livrés au fer et au feu du châtiment que
choisira l’Église. Les juifs seront interdits d’emplois publics ou de fonctions
de justice. Désormais, la messe dominicale est obligatoire. Sera puni celui qui
n’y sera point vu.
— Faisons obligation aux
paroissiens d’aller à l’église les dimanches et jours de fête, et d’y entendre
en entier la messe et le sermon. Si quelque maître ou maîtresse de maison ne va
pas à l’église il paiera six deniers tournois, dont la moitié ira au seigneur
de la ville, un quart au prêtre, et un quart à l’Église.
L’usurpateur fait payer par le
peuple sa dette à l’égard du pape. Il rançonne chaque famille, jusqu’à la plus
humble.
— Ordonnons que dans le pays
conquis chaque maison habitée paye trois deniers melgoriens par an au seigneur
pape et à la sainte Église romaine. La perception se fera entre le début du
carême et Pâques.
Montfort organise son armée pour
l’occupation des terres conquises et l’invasion d’autres territoires.
— Les barons de France et les
chevaliers devront le service au comte quand et là où il y aura la guerre
contre sa personne, que ce soit en rapport avec la terre conquise ou à
conquérir.
Le métier des armes est interdit à
la noblesse indigène. Les vassaux de l’usurpateur « seront tenus de servir
le comte avec des chevaliers français. Ils ne pourront, de vingt ans, remplacer
les chevaliers français par des chevaliers du pays ».
Les lois et les usages de nos
familles sont abolis.
— Les successions se feront
selon la coutume et l’usage de France autour de Paris, tant entre barons et
chevaliers qu’entre bourgeois et paysans.
Ce ne sera plus le choix de l’homme,
mais la loi de l’État qui déterminera les successions. Le père sur son lit de
mort ne pourra plus répartir librement son patrimoine entre ses enfants. La
totalité de l’héritage ira au fils aîné.
L’amour nous est interdit. Les fils
et les filles de notre pays ne peuvent plus s’aimer, se marier et enfanter
ensemble.
— Interdisons à toutes les
dames nobles, veuves ou héritières, possédant forteresse ou château d’épouser
d’ici à dix ans un indigène de cette terre.
Seule la semence des Français pourra
fertiliser nos femmes :
— Elles pourront épouser des
Français à leur gré !
Toutes les places fortes de nos
contrées passeront ainsi définitivement entre leurs mains et celles de leur
descendance. A-t-on jamais vu si infâme loi de dépossession ?
Même le plaisir n’a plus droit de
cité.
— Ordonnons que les prostituées
soient mises hors les murs de toutes les villes.
Nous sommes privés de nos terres, de
notre fierté, de nos traditions, des libertés de croire et d’aimer. La loi qui
nous fut imposée par l’Empire romain, il y a mille ans, était plus respectueuse
des usages et des mœurs de la province colonisée.
L’échiquier renversé
Toulouse, janvier 1213
Avec l’invasion de notre pays,
l’usurpation de nos titres et abolition de toutes nos libertés, l’année 1212
s’est achevée sur un arrêt de mort.
C’est sur une résurrection que
s’ouvre l’an 1213. Toulouse est en fête. Entouré des seigneurs et des prélats
de son royaume, Pierre d’Aragon est dans nos murs. Sur les places et dans les
auberges, on se désaltère aux barriques de
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