Raimond le Cathare
mener
boire les chevaux . »
Comme à Carcassonne, à Minerve et à
Termes, le refuge est devenu prison. Mais cette fois ce sont les Français qui
sont dans le piège, aux prises avec la faim, la soif et la peur. Les nôtres,
ravitaillés par le fleuve et les campagnes environnantes, ne manquent de rien.
Des contrées alentour on vient
offrir au comte porcelets et moutons, bœufs et vaches laitières, oies grasses
et poulets, perdrix et chapons fins, venaisons, charretées de farine et de blé,
bon vin en abondance. On se croirait en Terre promise.
Notre armée est bien nourrie, mais
les hommes n’auront guère le loisir de festoyer. Les Montfort arrivent. Simon
vient de France, où il était auprès de Philippe Auguste pour lui faire hommage
après les décisions du concile. Guy accourt de Toulouse, où il séjournait au
château Narbonnais. Les deux frères se retrouvent le 6 juin devant les remparts
de Beaucaire. Amaury de Montfort, le fils de Simon, Alain de Roucy, Guy de
Lévis, Hugues de Lacy, Foucaud de Berzy, suivis de leurs compagnies armées,
entourent l’usurpateur.
Les Français établissent leur camp
dans la plaine face à Beaucaire. Ils coupent les arbres et dressent leurs
tentes à l’orée des champs d’oliviers. Planté au milieu de ses barons, Montfort
regarde les deux bannières qui ondulent dans le souffle du mistral. Son lion
flotte sur la citadelle, au-dessus du rocher inaccessible où ses hommes sont emmurés
vivants ; la croix d’or de Toulouse déployée par le vent sur les remparts
de Beaucaire le défie.
— J’enrage, messeigneurs !
Cette terre est à moi. Le comte de Toulouse est un truand, un traître. L’Église
m’a donné ce comté. J’obéis à ses ordres formels. J’ai le droit et même le
devoir de planter mes bannières sur cette ville. Et voilà ce morveux qui vient
me brailler « Toulouse ! » à la figure…
Jamais ses compagnons ne l’ont vu
dans une telle colère. Craignant qu’elle n’obscurcisse son jugement, Alain de
Roucy appelle à la lucidité.
— L’orgueil et l’arrogance ne
viendront pas à bout des remparts de cette ville. Raimond est peut-être un
jouvenceau, mais il est le neveu de Richard Cœur de lion. Il a de qui tenir.
Vous pouvez l’insulter, mais cet enfant joue gagnant. Il a jeté son dé :
six ! Saurez-vous faire mieux ? Nous ne pouvons pas libérer nos gens
cernés dans ce donjon. Et s’ils succombent la perte et l’affront seront
irréparables. Voulez-vous un conseil ? Envoyez sur l’heure deux bons
négociateurs et offrez la Provence en échange des nôtres. En serez-vous plus
pauvre ? Le reste du pays suffit à notre gloire.
— C’est indigne ! Ton
conseil ne vaut rien. La seule façon de traiter Raimondet c’est le poing
sanglant et l’épée ruisselante. S’il tue ceux du donjon, moi, je truciderai
deux fois plus de ses gens. Je resterai sept ans, s’il le faut planté là, mais
je prendrai la ville et je les délivrerai.
*
* *
Dans la clarté de la nuit
provençale, les bateliers vigilants assurent le contrôle du fleuve. Aux portes
de Beaucaire et à la lisière du camp de Montfort les guetteurs s’observent de
loin. Les chevaux sont sellés et les armes à portée de main. En haut, sur les
remparts, à demi morts de soif, les hommes de Lambert de Thury crient des
appels désespérés en direction du camp français.
Aux premiers rayons du soleil, les
deux armées se préparent au combat. Montfort, aussi furieux que la veille,
harangue ses troupes et interpelle ses vassaux.
— Souvenez-vous. Je vous ai
tout donné. Des châteaux et des butins conquis de haute lutte, qui peut
prétendre ici n’avoir pas eu sa part ? Qui se plaint ?
Dites-moi !
Il foudroie du regard ses
compagnons.
— Personne ! Alors tâchez
que je n’aie pas à me plaindre de vous !
Au même moment sous les remparts de
Beaucaire, Rostan de Carbonnières, un chevalier provençal, a pris le
commandement. Dressé sur ses étriers, il parle à ses cavaliers :
— Les clercs nous ont menti. On
ne saurait servir le Christ en massacrant un peuple, en brûlant un pays, en
ravageant des villes, en privant de son bien un seigneur légitime. Notre cause
est la seule juste et bonne. Elle conduit au salut de nos âmes. Cognez
dur !
Dans un mugissement de trompes,
Montfort et son armée lancent leur charge. Les nôtres ne bougent pas. Ils se
regroupent autour des portes de la ville, ils s’adossent à leurs
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