Raimond le Cathare
ouvrages de
défense, arc-boutés pour résister au choc de la cavalerie qui galope sur eux.
— Si nous brisons l’assaut qui
nous vient droit dessus, ils sont perdus ! crie le seigneur de Montélimar.
La chronique de la bataille témoigne
de sa violence.
La charge des Croisés s’enfonce
puissamment dans l’épaisse forêt des cuirasses adverses. L’accueil des
Provençaux est vaillant. Sifflent et cognent les épées, les aciers, les masses,
les javelots, les écus, les haches, les flèches, les carreaux d’arbalète, les
dards, les traits, les poings et les épieux. Les chevaliers besognent avec
acharnement. Chacun pousse ses gens au plus chaud des mêlées. Le fracas du
combat est si tonitruant que le fleuve et la terre en frémissent. Le carnage
est atroce. Les poings tranchés, les bras arrachés, les corps sans tête, les
cervelles gisant dans les flaques de sang couvrent partout le pré…
Ceux de Beaucaire, enfin, combattant
pied à pied, contiennent les Croisés et les rejettent. La bataille est rompue.
Chacun rejoint son camp. Plus de cris. Des chevaux bardés de fer divaguent çà
et là, privés de cavalier ou traînant des cadavres.
Pourquoi ne pas avouer la
satisfaction de mon amour-propre en découvrant que mon fils applique les
tactiques que j’ai toujours préconisées ! Il ne se lance pas dans des
charges aventureuses. Jamais il ne s’éloigne de ses lignes de défense. Si nous
avions agi ainsi à Muret, nous n’aurions pas perdu la bataille.
*
* *
Montfort, défait, hurle son
ressentiment.
— Ce jeune Raimondet a-t-il
croqué du tigre ?
Depuis qu’il a quitté Rome et la
cour du pape, rien ne peut l’arrêter. Cette fois, il s’en prend aux trois
évêques et à quelques abbés qui séjournent dans le camp.
— Je ne sers que l’Église en
cette sombre histoire. Elle doit donc m’aider. Sinon, je vous préviens,
messeigneurs les prélats, je ne pourrai tenir longtemps les fiefs conquis et
les cités soumises. Ensuite, on me dira fautif. C’est toujours ainsi.
L’évêque de Nîmes, faisant taire les
autres ecclésiastiques avec l’autorité de celui qui est en son diocèse,
s’empresse de calmer Montfort.
— Sire comte, adorez
Jésus-Christ. Bien et mal, nuit et jour. C’est la ronde du monde. Ce que l’on
perd sur terre est regagné au ciel.
— Suffit, l’évêque ! coupe
Foucaud de Berzy. Tes discours de bénisseur nous agacent les oreilles.
Aujourd’hui, Jésus a déserté nos rangs. C’est clair. Après tout, nos âmes sont
peut-être aussi mauvaises que tes sermons.
À Beaucaire, on a percé des tonneaux
de vin de Genestet pour célébrer la victoire. Au milieu des chansons et des
festivités, Raimond le Jeune garde la tête froide. Auprès de Dragonet de
Mondragon, il s’enquiert de l’état des verrous de notre défense.
— Le fleuve ?
— Il est à nous jusqu’à Arles.
Aucun gué qui ne soit tenu par nos barques armées. Les vivres et les renforts
arrivent chaque jour.
— Le château ?
— Il leur faudrait des ailes
pour s’en échapper. Regardez !
Dragonet de Mondragon pointe son
doigt vers le donjon. Dans l’azur du ciel de juin flotte un drapeau noir.
L’étendard de détresse a pris la place de la bannière au lion, brisée par le
jet d’une catapulte. Sur le chemin de ronde, quelques hommes, hirsutes et
décharnés, agitent à bout de bras des cruches et des flacons vides. Par ces
signaux, ils disent à Montfort qu’ils sont sur le point de mourir de soif.
Tournoyant lentement au-dessus du donjon, quelques charognards ont commencé
leur ronde macabre.
Les Français vont tenter de répondre
à l’appel de leurs compagnons agonisants. Les barons croisés mènent leur troupe
en un lieu nommé la colline des pendus. Ils pourront ainsi bénéficier de la
pente pour donner de la puissance à la charge de leur cavalerie. Montfort lance
à ses chevaliers :
— Au château, mon lion crie
famine, mais ce soir il sera saoul de sang et repu de cervelles !
Les forces provençales observent la
manœuvre et se préparent à résister au choc.
Tumulte, braillement, claquement de
bannières, appel des trompes cuivrées déchirent l’air limpide, font frissonner
les arbres et résonner la terre. Le comte de Montfort, ce sinistre bandit,
emporté au galop de son grand cheval noir, rugit comme un lion. Il se jette au
plus chaud de l’énorme mêlée. Le sang jaillit autour de lui. Les corps se
fendent. Mais
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