Raimond le Cathare
Marseille et les représentants des corps de métier viennent tour
à tour nous promettre de se liguer à nos côtés. Eux aussi sont en lutte contre
les ecclésiastiques qui bafouent leurs libertés communales. Scandalisés par les
décisions du concile, ils joignent leur cause à la nôtre. Le soir même, la
population se révolte et envahit le palais épiscopal. L’évêque s’enfuit dans la
nuit.
Dès le lendemain les émissaires se
succèdent, venus des quartiers de la ville ou des cités environnantes. Tous se
rangent sous nos couleurs. Une délégation nous apporte un message
d’Avignon : « Les bourgeois désirent rendre hommage à Votre
Seigneurie. »
Nous partons aussitôt. Le
surlendemain, arrivés à Avignon au soleil couchant, nous constatons que le
message disait vrai. Consuls et marchands nous attendent devant les portes de
la cité. Des feuillages fraîchement coupés forment une allée d’honneur de part
et d’autre de laquelle on s’agenouille à notre passage. Sur le rempart, la
foule crie sa joie en agitant des étendards. Devant l’entrée de la cité, l’un
des Avignonnais les plus respectés, Arnaud Audegier, s’avance vers nous. Vêtu
d’apparat, il nous présente les clés de la ville posées sur un coussin de soie.
— Notre ville est à vous. Nous
vous offrons nos vies, nos maisons, nos murailles. Chevaliers piaffants et
bourgeois dévoués, tous en armes, sont prêts à vous servir, à combattre et à
mourir. Ils n’auront désormais qu’une cause : la vôtre. Nous rendrons le
sang jusqu’à reconquérir le pays toulousain.
Une ovation salue ses phrases et
accompagne notre entrée dans la ville. Nous avons peine à avancer dans la rue
principale au milieu de la foule. Les mains se tendent vers nous, les enfants
sont portés à bout de bras, les vieilles femmes pleurent de joie. La milice
urbaine doit nous frayer un chemin à coups de bâton jusqu’à la cathédrale.
Après avoir rendu grâce à Dieu, nous
allons partager un repas de fête dans la maison communale. Jongleurs, chanteurs
et danseurs se succèdent toute la soirée. Sur les tables, poissons, volailles,
sauces, légumes et fruits sont disposés en abondance. Dorés, rouges, vermeils,
les vins de Provence rehaussés de girofle nous inspirent des chansons d’amour.
En ce printemps 1216, telle une
sève, un désir de liberté monte dans notre pays provençal.
Après Marseille et Avignon,
Tarascon, Pierrelatte, Vallabrègue, Malaucène, Beaumes épousent notre cause.
Guy de Cavaillon, Dragonet de Mondragon, Adhémar et Guillaume de Valentinois,
Guiraud et son fils Giraudet de Montélimar et bien d’autres seigneurs viennent
nous rejoindre. Chaque jour qui passe, de nouvelles villes et de nouveaux
chevaliers prennent nos couleurs. On nous annonce que la croix de Toulouse
flotte sur Beaucaire. La cité où, sortant du ventre de Jeanne d’Angleterre, mon
fils vit le jour il y a dix-neuf ans… Mais, au-dessus de la ville qui s’étend
sut la rive droite du Rhône, la citadelle, dressée sur son rocher dominant le
fleuve abrite une garnison commandée par Lambert de Thury. C’est, parmi les
fidèles compagnons de Simon de Montfort, l’un des plus redoutables guerriers.
Les messagers venus de Beaucaire
implorent du secours.
— Depuis que la ville a pris
votre parti, nous tremblons chaque jour. À tout instant nous craignons de voir
s’ouvrir les portes de la citadelle et dévaler sur nous les chevaliers
français. Si vous ne venez pas nous protéger, ils nous massacreront pour punir
Beaucaire de s’être rangée à vos côtés.
— C’est ma ville natale. Je ne
saurai souffrir que son peuple soit maltraité.
Raimond le Jeune lève sa main droite
devant toute la noblesse provençale réunie autour de nous :
— C’est à Beaucaire que j’ai
trouvé la vie. C’est donc à Beaucaire que je trouverai la gloire ou la
mort ! J’en fais devant tous le serment.
Nous tenons conseil pour décider que
Raimond le Jeune et toutes nos forces disponibles doivent sans plus tarder se
porter sur Beaucaire. De mon côté, je vais reprendre la mer, regagner Barcelone
et tenter d’y trouver d’autres alliés pour préparer la libération de Toulouse.
Je confie Raimond aux seigneurs qui nous entourent.
— Soyez ses lieutenants, ses
conseillers, ses frères. Cette guerre est la vôtre, autant que la sienne.
Mon fils me demande de lui écrire
souvent.
— Confiez-moi vos pensées et
contez-moi
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