Remède pour un charlatan
d’autre ? demanda Raquel.
Si quelqu’un avait su ce qui se passait dans le cœur d’Aaron, ce ne pouvait être que Dalia. Ses yeux vifs voyaient tout ce qu’il était possible de voir, ses oreilles fines entendaient tout ce qu’il était possible d’entendre.
— Pas dans le Call. Ni même en dehors. Je crois que le mariage et l’amour ne l’intéressaient nullement. Il ne pensait qu’à ses stupides livres. Ce n’est pas comme son frère, Daniel – voilà quelqu’un à qui l’on peut donner son cœur.
Elle sourit comme seule le ferait une jeune fille qui a tant d’admirateurs qu’elle peut se permettre d’en indiquer quelques-uns à ses amies.
— Toi et Daniel, vous…
— Moi ? En aucun cas. Si je pouvais avoir celui que je veux, je choisirais Jahuda, chuchota-t-elle. Mais papa connaît à Barcelone un orfèvre en quête d’épouse. Papa dit qu’il est beau, riche et courtois. J’aurais de nombreux serviteurs et tout ce que je désire.
Son regard se perdit dans le lointain. Dans ses yeux brillaient sans aucun doute des visions de robes de soie et de bijoux éclatants. Puis elle se tourna vers Raquel en poussant un soupir à fendre l’âme.
— Mais Jahuda est si grand, et quand il me regarde avec ses yeux noirs et perçants, je frissonne des pieds à la tête, fit-elle en riant.
Raquel avait toujours connu Jahuda Salomó. Il se tenait là, de l’autre côté de la salle, dégingandé, courroucé, comme s’il avait étudié le monde et n’y avait trouvé aucun intérêt.
Les musiciens reposèrent leurs coupes pour reprendre leurs instruments. Un air vif couvrit le tumulte des rires et des conversations. Deux jeunes filles se levèrent et regardèrent celles qui restaient assises à la table du banquet. Trois autres les imitèrent en riant aux éclats.
— Viens, joignons-nous à elles, proposa Dalia.
Raquel et Dalia se mirent aussi à danser, à rire, et à secouer leurs cheveux soigneusement bouclés – à moins que ce ne fût naturel – devant la foule admirative. Raquel remarqua que Jahuda ne quittait pas Dalia des yeux.
Même Judith commençait à s’attendrir. Elle regardait Raquel danser avec les autres jeunes filles et ne pouvait dissimuler sa fierté maternelle. Raquel était superbe, on n’en pouvait douter. Elle était plus grande et plus gracieuse que Dalia, avec toutes ses formes. Les immenses yeux de Dalia, ses lèvres charnues et ses cheveux brillants attiraient tous les regards, mais sa beauté était éphémère. Raquel conserverait encore longtemps son allure. Dalia ferait mieux de se marier dès à présent, car, dans quelques années, son charme aurait disparu, et maître Mordecai devrait donner en dot une véritable fortune pour lui trouver un mari.
— Votre Raquel est une vraie beauté, dit la voisine de Judith. Nous danserons bientôt à ses noces, j’espère.
— Isaac ne peut se passer d’elle pendant encore au moins un an, répondit Judith. Mais nous avons beaucoup de demandes. Il aspire à lui trouver le meilleur mari possible.
— Eh bien, fit la commère, vous direz à votre époux qu’aspiration ou non, quand on laisse une fille trop longtemps célibataire, elle se trouve un mari toute seule. Et il pourrait bien ne pas lui plaire.
Judith lança un regard glacial à la femme qui devint écarlate.
Que ce fût innocemment ou par méchanceté, ce n’était pas un propos à tenir à quelqu’un dont la fille aînée s’était amourachée d’un chrétien. Elle avala trop de vin d’un coup, toussa, s’étrangla et se hâta de changer de sujet.
— Bien que j’aie entendu dire qu’il n’y aura pas d’autres noces d’ici un certain temps.
Avant que Judith pût répondre à cette étonnante affirmation, elle remarqua près de la porte un homme qui faisait signe à Mordecai de venir lui parler. Le père de la mariée retourna ensuite à table, l’air pensif, et il se mit à converser avec Astruch Caravida et Abraham Ravaya, deux importants membres du conseil. Un murmure prit naissance au bout de la salle, qui enfla rapidement parmi les convives, très différent en qualité du brouhaha convivial qui se faisait entendre quelques instants auparavant. Judith se rendit soudain compte qu’elle s’était montrée grossière, même si cette commère l’avait provoquée, et elle se retourna pour lui demander pourquoi.
C’est alors qu’Alta, l’épouse de Bonastruch, un autre membre du conseil, prit place à côté
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