Remède pour un charlatan
Isaac. Je crains toutefois que ma bonne épouse ne prenne très mal cette suggestion.
— Pourtant, si la situation empire…
— Si tel est le cas, elle acceptera certainement de cacher sa fille parmi les religieuses.
— Nous reparlerons de tout cela, dit Berenguer.
Malgré la désagréable impression de menace qui planait sur leur monde, les affaires quotidiennes occupèrent tous les membres de la maison d’Isaac jusqu’au vendredi soir, au coucher du soleil. Sous l’œil vigilant de Judith, le sabbat fut observé avec encore plus d’exactitude que dans certaines maisons voisines. Même Yusuf travaillait à ses risques et périls. Un samedi matin, Raquel avait eu la témérité de laisser entendre que, chez Benjamin Adret, l’esclave maure travaillait le jour du sabbat, et de lui suggérer de se rendre utile. Judith avait tranché : « Yusuf n’est pas un esclave, et même s’il l’était… » Le problème était réglé. Un jour par semaine, il était libre comme l’air.
Il avait pris l’habitude d’abandonner le calme du quartier juif pour retrouver le brouhaha du marché, où il dépensait quelques pièces, bavardait et observait le monde. C’est au marché qu’il avait rencontré Hasan pour la première fois, c’est également là qu’il le cherchait en cette matinée de sabbat. Bien caché dans son panier, il y avait un somptueux repas fait de restes fourrés dans une miche et un gâteau au miel, le tout enveloppé dans une serviette, assez pour rassasier deux garçons affamés. Naomi avait un faible pour Yusuf, qui adorait sa cuisine et dont l’appétit paraissait illimité. Et Yusuf s’était rendu compte que Hasan mangeait plutôt mal chez son propre maître.
Le marché était noir de monde. Dans moins de deux semaines, la foire allait commencer, et l’excitation qu’elle générait était déjà palpable. Yusuf se planta sur les marches et scruta la foule en quête de son nouvel ami.
— Ohé ! cria-t-il quand il le vit devant l’étal du marchand de fruits secs recouvert de grands paniers d’amandes et de noisettes. Par ici ! ajouta-t-il dans sa propre langue.
Hasan ne lui prêta aucune attention.
Yusuf dévala les marches et plongea dans la foule.
— Hé, lança-t-il en se rapprochant de lui, je voulais te voir !
Hasan continuait à remplir son panier, mais il secouait la tête en examinant les amandes comme s’il en trouvait un grand nombre de gâtées. Yusuf s’arrêta brusquement et se tapit dans la foule.
Une femme petite et robuste fonçait sur le jeune esclave. Elle était vêtue de noir et un voile était accroché à ses cheveux mal coiffés. Dès qu’elle fut assez près de Hasan, elle lui donna une tape sur la tête.
— Tu crois que j’ai toute la journée à attendre que tu comptes tes amandes ? Petit idiot !
Elle regarda le ciel, où le soleil faisait une timide apparition entre les nuages.
— J’ai encore d’autres courses. Tiens, fit-elle en lui tendant une pièce. Va acheter le poisson. Et tâche qu’il soit frais et qu’il y en ait assez. Bartolomeo est un voleur.
Elle lui confia son propre panier.
— Dis-leur à la maison que je reviendrai plus tard.
— Oui, maîtresse, fit Hasan.
Elle lui donna une autre tape pour faire bonne mesure et disparut dans la foule du marché.
— C’est ta maîtresse ? demanda Yusuf, réapparu dès que la femme fut partie.
— Non. C’est la femme qui possède la maison où vit mon maître. Je crois qu’il paie son loyer en me prêtant à elle. Si elle m’avait vu parler à quelqu’un, elle aurait été encore plus méchante. C’est pour ça que je ne t’ai pas répondu, expliqua-t-il. Excuse-moi.
— C’est Marieta, n’est-ce pas ?
— Tu la connais ?
— Tout le monde à Gérone la connaît, ou a entendu parler d’elle. Est-ce que tu vis vraiment dans un bordel ? demanda Yusuf, incrédule.
— Pourquoi es-tu si étonné ?
— Parce que tu m’as dit que ton maître était un lettré. J’ai passé bien du temps chez des gens respectables, fit-il en secouant la tête. Pour moi, les lettrés sont des gens bons et respectueux des lois, comme mon maître.
— Je n’en ai jamais rencontré, dit Hasan, surpris. Tous les lettrés que j’ai connus sont sur la route et vivent d’expédients.
— J’aurais dû m’en douter. J’ai voyagé avec un pauvre lettré avant d’arriver ici, c’était un voleur et un gredin.
— Était-il bon envers
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