Remède pour un charlatan
faisant usage de sorcellerie et avec l’aide d’une femme anonyme.
— Qui est votre patient ?
— Vous voyez ma difficulté, hésita Isaac. C’est une grave accusation, vous en conviendrez, qui pourrait mener droit au tribunal. Il ne m’a pas donné l’autorisation d’en parler…
— Mais vous l’a-t-il interdit ?
— Non, Votre Excellence, non, mais de là à déduire que j’ai la permission de vous révéler ses affaires…
— Ah, Isaac, votre conscience vous fait honneur.
— J’ai cependant la permission de vous faire part d’anciennes menaces à l’encontre de lui-même et de sa famille, des menaces de sorcellerie à leur égard.
— Sur mon âme, mon ami, dit Berenguer, je jure de ne pas faire usage de vos paroles, ni même de votre information, s’il doit y avoir une action contre celui que l’on accuse. Seulement contre l’accusateur, si je m’en trouve justifié. Ce patient vit-il dans le Call ?
— Non, Votre Excellence, il fait partie de vos ouailles. C’est même l’une de vos plus ardentes. Il s’appelle Pons Manet.
— Je ne puis y croire, dit Berenguer. Je ne puis croire que quelqu’un ait imaginé que Pons Manet aurait pu tuer grâce à la sorcellerie le fils de ce tisserand, ce balourd aviné. Ou que l’on puisse prendre au sérieux cette accusation. Même si les propos les plus invraisemblables passent trop souvent pour véritables, ajouta-t-il d’un air sombre.
— La vie a été rude pour Pons Manet, reprit Isaac. Je soupçonne fortement que son fils, Lorens, est ce même Lorens dont je n’ai pas réussi à sauver la vie. Ce même Lorens qui buvait, discutait philosophie et recherchait la connaissance, avec Aaron, le fils du boulanger, et Marc, le fils du tisserand.
— Lorens était son fils, dit Berenguer. Et Pons Manet est un brave homme, Isaac, il n’y en a pas de meilleur. C’est un père généreux et un excellent mari. Il s’est beaucoup battu pour arriver à la position qu’il occupe aujourd’hui et a vaincu le mépris de ceux qui sont nés fortunés. J’aime cet homme, Isaac, et Dieu m’est témoin, tout ceci va trop loin ! Je me demande si ce n’est pas aussi l’œuvre de notre ami Guillem de Montpellier.
— Peut-être avez-vous raison, Votre Excellence, mais puisque le mot de sorcellerie est sur toutes les lèvres ces jours-ci, n’importe lequel de ses rivaux pourrait y recourir afin de détruire maître Pons.
— C’est cela qui est diabolique, Isaac. Mais avant votre départ, je pense que nous devrions avoir un entretien discret avec le capitaine des gardes. Il a seulement besoin de savoir que l’on menace maître Pons. J’aimerais apprendre qui entre ou sort de cette maison et si l’un de ses serviteurs a été suborné.
Il se dirigea vers la porte de son cabinet et parla à une personne qui attendait dans le couloir.
— Je serais heureux de voir ce problème réglé. Mon patient souffre beaucoup depuis le début de l’été.
— Nous en reparlerons, maître Isaac, mais il y a un autre sujet que nous devons aborder. Vous ne l’avez pas mentionné, et j’ignore si votre silence est le fruit de votre discrétion ou de votre ignorance. Votre fille vous a-t-elle relaté sa rencontre dans la rue ce matin ?
— Quelle rencontre ? fit Isaac. On ne m’a rien dit. S’agit-il encore de commérages malveillants ?
— Nullement. On me l’a rapporté il y a une heure. Votre fille sortait de la boutique du gantier, son voile légèrement ouvert, et elle a été reconnue par une certaine Miquela, qui l’a accusée en termes violents d’être une sorcière, celle-là même qui a aidé à tuer le jeune Marc. Deux ivrognes sont sortis de la taverne et ont repris l’accusation à leur compte, mais avant qu’il se passe quoi que ce soit, quelqu’un l’a mise à l’abri dans l’échoppe. L’incident a ainsi pris fin, mais tout cela ne me plaît pas, Isaac, mon ami. Non, cela ne me plaît pas.
— Elle ne m’en a rien dit.
— Peut-être pense-t-elle que cela n’a pas d’importance.
— Non, je crois au contraire qu’elle a été tellement bouleversée qu’elle a cherché à me le cacher.
Isaac passa l’extrémité de ses doigts sur son front comme s’il avait mal à la tête puis, les réunissant en forme de pyramide, il posa dessus son menton.
— Un jour, elle me le dira, reprit-il en relevant la tête, et je serai très surpris d’apprendre cela, mon ami, et je lui répondrai qu’elle a
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