Remède pour un charlatan
dans la cathédrale, l’esprit léger, prête à absorber un peu de spiritualité avant de célébrer un dur labeur dans la joie et la ripaille. Il y avait beaucoup d’agitation, de bruissement et de chuchotements, mais le silence du prélat dura plus que de coutume, et les fidèles mal à l’aise retrouvèrent bientôt le calme.
— Consilia impiorum fraudulenta, dit Berenguer. Les conseils des méchants sont trompeurs. De sages paroles pour ceux qui ont l’intelligence de les entendre. Aujourd’hui, nous entamons la célébration de la fête de Sant Narcis. Le jour venu, j’en dirai plus sur le bon saint, comment il a sauvé la ville et ce que cela signifie pour notre vie spirituelle, mais pour l’heure, je discourrai sur les conseils des méchants.
« Vous connaissez l’histoire de ce roi qui, se voyant près de mourir, réunit sa famille afin de partager ses biens. À son fils aîné il donna le royaume que son propre père lui avait laissé, et à son deuxième fils il donna les terres qu’il avait remportées avec son épée. À son troisième fils, il donna trois trésors. Il les confia à sa reine, pour qu’elle les conserve jusqu’à ce qu’elle jugeât le garçon digne de les recevoir. Quand le roi mourut, la reine donna à son fils le premier trésor, un anneau qui rendait son propriétaire si charmant que tout ce qu’il demanderait lui serait accordé. Elle le prévint aussi qu’une femme tenterait de le lui dérober.
« Il passa la bague à son doigt et sortit sur la grand-place. Là, il rencontra une femme d’une beauté et d’une grâce incomparables. Avec un sourire charmeur, elle le pria de la laisser mettre la bague à son doigt : elle en prendrait grand soin et la lui rendrait immédiatement. Il lui confia son secret et lui passa la bague. Un instant après, elle avait disparu. Le jeune homme alla trouver sa mère, en larmes.
« La reine lui donna ensuite un collier serti de pierreries qui garantissait à son propriétaire tout ce que son cœur désirait. Il vit la même femme qui franchissait la porte de la ville. Elle remarqua le splendide collier et se jeta à ses pieds pour lui avouer la perte de la bague. Elle pleurait amèrement. Il la releva et lui montra le collier qu’il portait en remplacement de la bague. Avec force sourires, elle l’ôta de son cou, le passa au sien et s’enfuit.
« Quand le jeune homme revint auprès de sa mère, elle le prévint qu’il ne restait plus qu’un cadeau. C’était une étoffe richement brodée, capable de transporter où ils le voulaient ceux qui prenaient place dessus. Il alla la montrer à sa bien-aimée, étala l’étoffe et l’invita à s’y asseoir avec lui. Il souhaita se rendre avec elle aux confins de la terre et ils se retrouvèrent aussitôt dans une forêt, avec pour seule compagnie des bêtes sauvages. “Comme c’est astucieux ! s’écria sa bien-aimée. Comment avez-vous fait cela ?” Il lui expliqua tout. Elle s’assit à côté de lui sur l’étoffe, prit sa tête sur ses genoux et attendit qu’il se fût endormi. Alors, elle tira l’étoffe de dessous lui et souhaita revenir dans leur ville natale, laissant le jeune prince au milieu des bêtes sauvages.
« La traîtresse représente ceux qui fomentent la révolte parmi vous et vous offrent les conseils trompeurs des méchants. Ceux qui répandent le mensonge et vous volent votre innocence et votre renom. Vous autres, habitants de Gérone, êtes ce prince insensé, qui écoute les voix trompeuses des perfides. J’ai entendu ces rumeurs qui parlent d’un mal qui s’abattrait sur la ville. Le mal est bien là, croyez-moi, mais il ne vient pas de l’extérieur. Il réside dans vos cœurs. Qui d’autre que vous a blessé ces femmes innocentes ? Ce n’est pas un étranger, mais bien l’un de vous qui est responsable de la mort de l’une de vos voisines. Vous avez répandu le mensonge avec diligence parmi les honnêtes bourgeois.
Il s’arrêta un instant pour s’éclaircir la voix, secoua la tête et reprit.
— Vous êtes aimés de votre Père céleste qui vous a donné tous les trésors : de puissantes murailles, des rivières poissonneuses, des forêts abondantes, des vignobles et des arbres fruitiers. Votre saint bien-aimé, comme la sage reine de ce conte, veille sur la ville et la sauve des attaquants venus de l’extérieur, mais vous n’avez de cesse d’ignorer les sages conseils et de détruire de l’intérieur ce que vous
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