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Requiem pour Yves Saint Laurent

Requiem pour Yves Saint Laurent

Titel: Requiem pour Yves Saint Laurent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benaïm
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créé un style, dont « Rive Gauche » – jamais vraiment présent dans les rétrospectives – était l’abécédaire. Cabans, sahariennes, trenches, see-through blouses sous des costumes d’homme, laçages, cloutages, robes paysannes avec des bottes, robes gitanes… De Paris à New York, de saison en saison, son ombre le rattrapait. Entre hommages sincères et parodies, il y avait toujours un peu de Saint
Laurent dans les défilés. A l’image de Jackie Kennedy fixant le modèle des nouvelles dames de la République, Yves Saint Laurent faisait figure de référence. L’épreuve pour un styliste en quête de légitimité, n’était-ce pas de poser nu ?
    Mais aurait-on imaginé Yves Saint Laurent dialoguer en live avec ses fans sur son site ? Les femmes russes auxquelles il avait conseillé un jour de mettre « un manteau d’homme, une jupe noire et un sweater noir », n’étaient plus les mêmes. Elles avaient changé de pays, de vie, de tout. Elles n’emballaient plus des harengs frais dans la Pravda , elles avaient déserté les étals des marchés gelés, et épousé des princes charmants, qui dévalisaient pour elles les duty free shops Gucci et Versace de la planète. Elles aimaient Dubaï, le champagne rosé et les marques de luxe. Avec elles, le pouvoir et le sexe ne faisaient qu’un, ce qu’avait compris avant tous les autres Tom Ford et tous les coiffeurs de la terre. Elles n’étaient jamais assez blondes. Oui, Yves Saint Laurent se résumait pour elles davantage au sac Muse et aux souliers Tribute qu’aux babouchkas en jupe paysanne et bottes de cuir.
    « Le problème en France, c’est que vous avez trop de bureaucratie », me dit un jour l’une de ces nouvelles amazones. Nous étions un vieux pays, avec des vieilles valeurs, des épiceries fermées à l’heure du déjeuner, des serveurs beaux et maladroits, et d’autres, vieux et méchants, furieux de servir du Coca Zero avec la langouste Thermidor, des vendeuses coincées qui n’acceptaient pas les billets de cinq cents euros. Ces nouvelles femmes étaient pressées. L’idée d’aller dans une maison de couture où elles auraient été à peine reçues, puis obligées d’attendre des semaines entre les essayages, semblait déjà complètement anachronique.
    Elles aimaient tout ce qui leur collait à la peau, elles n’avaient pas besoin d’être aidées, un vêtement était fait pour être désiré, porté, arraché, jeté. C’était une arme qui s’autodétruisait dans la minute où elles l’avaient enlevé. La peur de manquer les trahissait parfois, là, dans l’un de ces paradis cinq-étoiles, où l’on pouvait apercevoir un
certain type de blonde diriger une poussette Ferrari encombrée de sacs de plage et de jouets en plastique made in China . Elles peinaient sur leurs mules cloutées. Une image se détachait d’elles : leur grand-mère poussant la charrette sous la neige. Des babas lointaines, enfouies sous les châles dont ces richissimes et sculpturales beautés recouvraient désormais les coussins de leur datcha.

    L’argent avait changé de mains, le corps avait suivi. Le vingt et unième siècle, on y était entré comme dans son slim  : en rentrant son ventre. Doté de puissantes antennes, branché vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur tout ce qui bougeait, du rock à l’art contemporain, de Berlin à Tokyo, en passant par New York et Londres, Karl Lagerfeld avait négocié son virage : en perdant quarante-deux kilos. A l’influence qu’il exerçait en Europe faisait écho celle d’Anna Wintour aux Etats-Unis, dont la silhouette-étui, les lunettes noires, la frange parfaite, firent d’elle l’héroïne d’un roman à succès, Le Diable s’habille en Prada 4 . Gainée dans ses tailleurs Chanel, la directrice du Vogue USA régnait sur l’empire de la mode. Lors de la campagne électorale des présidentielles, le bruit se répandrait : beaucoup la voyaient déjà comme l’ambassadrice d’Obama à Paris. Avec treize millions d’exemplaires diffusés, on disait qu’elle était la femme la plus puissante des Etats-Unis. Elle fut la première à lancer la mode des celebrities en cover , à magnifier l’esthétique triomphante de la retouche photographique, avec des filles sublimes, souriantes, consommantes, gardiennes de tous les fantasmes de l’Amérique dopée par l’illusion d’une prospérité sans fin.
    Les relations avec la maison Saint Laurent avaient été houleuses. On

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