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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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manière officieuse ?
    — De manière officieuse, je peux m’entretenir avec vous, ce que je fais déjà. Le laissez-passer que j’ai ici, dit-il en tapant sur la poche de son manteau, n’aurait jamais dû m’être accordé.
    Tron se leva de sa chaise. Soudain, il eut l’impression d’avoir les membres gourds, comme si ses pieds avaient été plongés dans un bac d’eau glacée. Pas étonnant, pensa-t-il, vu le froid qui régnait dans la cellule. Le plaid gris posé sur le lit de camp tiendrait-il assez chaud pour permettre à Julien Sorelli de dormir quelques heures ? Il dut admettre que le malheureux lui inspirait de la pitié et, qu’en outre, sa folle jalousie semblait enfin avoir disparu. C’était au moins quelque chose.
    — Nous pourrions retourner voir le père Jérôme à San Giovanni in Bragora, suggéra-t-il, pour l’interroger sur ses relations avec Stumm von Bordwehr.
    — Et s’il ne ressort rien de cette entrevue ?
    — Dans ce cas, nous choisissons un des crimes et nous nous efforçons d’établir où le colonel se trouvait à ce moment-là.
    — Cela peut durer !
    Julien réfléchit quelques instants, les yeux rivés sur les barreaux de la lucarne. Alors il dit d’une voix lente :
    — Pourriez-vous dans l’immédiat me rendre un service, commissaire ?
    Un tressaillement agitait l’extrémité de ses lèvres.
    — Quoi donc ?
    Julien se tourna vers son visiteur, haussa les épaules et eut un sourire d’excuse.
    — Pourriez-vous jeter un coup d’œil par la fenêtre ?
    Il poussa un soupir, prit de nouveau la bouteille et but une gorgée d’eau.
    — Je m’imagine voir une lueur à l’intérieur du pont des Soupirs, reprit-il d’une voix peu assurée.
    De nouveau, il lui sourit d’un air désolé et fit un pas sur le côté sans lâcher la bouteille.
    — Dites-moi si vous la voyez aussi, commissaire. Je suis peut-être déjà en train de délirer dans cette glacière.
    Tron s’approcha de la lucarne et leva la tête. Le bâtiment imposant des prisons neuves se dressait sous le ciel d’un gris profond. Le vent de la lagune poussait vers la ville des lambeaux de nuages éclairés par la lune. Plus bas, Tron distingua la barre en pierre que le pont des Soupirs formait entre les cachots du palais des Doges et les cellules de l’autre côté du rio del Palazzo. Il fixa les voûtes et l’arrondi des volutes sans apercevoir aucune lueur derrière les fenêtres à barreaux.
    La bouteille lui percuta la tempe juste au moment où il s’apprêtait à reculer. Le coup créa une onde de choc qui lui traversa le crâne, lui projeta la tête vers la gauche et lui fit voir trente-six chandelles. Il tourna à moitié sur lui-même, perdit l’équilibre et, avant de s’évanouir, eut le sentiment d’être poussé vers le lit de camp avec délicatesse.

51
    Le commandant de police versa du café dans une tasse et, grand prince, déposa sur la soucoupe deux morceaux de gingembre enrobés de chocolat. Puis il fit glisser le tout sur son bureau, le long du rapport détaillé que son subalterne avait dicté à Bossi au palais Balbi-Valier le matin même. Un mélange d’inquiétude et d’admiration se peignait sur son visage.
    — Compte tenu des événements de la nuit passée, vous avez plutôt bonne mine, commissaire.
    Il n’avait pas tout à fait tort, songea Tron. Le coup qu’il avait reçu aurait pu avoir des conséquences plus fâcheuses, encore qu’on pouvait en douter vu le bandage qui lui entourait la tête : une énorme coiffe faite de plusieurs couches de tissu nouées sous le menton en une grande cocarde ; on aurait dit un enfant souffrant des oreillons. Ce bandage lui donnait l’air ridicule. En même temps, il le faisait apparaître comme un héros ayant refusé de se décharger du travail ingrat sur ses subordonnés. C’est d’ailleurs pourquoi le commissaire s’était rendu au travail ce jour-là : un pareil pansement reflétait un dévouement inconditionnel et ferait taire pendant plusieurs années les méchantes langues qui condamnaient ses séjours prolongés au café pendant les heures de service.
    Au fond, il se sentait étrangement bien. En dehors d’un léger mal de tête, il ne ressentait qu’un minime hébétement, à vrai dire fort agréable, qui lui procurait une certaine distance par rapport aux événements et lui offrait la sérénité. Il ne lui en fallait pas plus pour le moment.
    Ses souvenirs de la veille au soir

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