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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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profiterait pour lorgner de plus près son décolleté. Avec un peu de chance, sa robe aurait glissé. Il en pouffa de plaisir. Pour la seconde fois de la soirée, il constata qu’il adorait son métier.
    Il écarta le rideau, passa la tête dans le felze et… retint un cri. La blonde était allongée sur la banquette, entièrement nue. Ses yeux étaient écarquillés ; il ne faisait aucun doute qu’elle était morte. Il tourna la tête vers la gauche pour voir ses pieds, puis vers la droite, pour regarder à nouveau son visage. Il ne la regarda pas plus de deux secondes. Pourtant, il enregistra jusqu’au moindre détail.
    Il vit le bâillon dans sa bouche et ses chevilles ligotées. Il vit les flots de sang qui cachaient presque les contours de son corps. Et il vit une petite masse lisse et brillante posée sur la banquette, comme sur l’étal d’un boucher. Quand il comprit de quoi il s’agissait, il eut un haut-le-cœur. Il se retourna en hurlant, fit quelques pas mal assurés en direction du môle et s’immobilisa. Puis il se pencha par-dessus le garde-fou en bois pour vomir.
    1 - « Demoiselle. » ( N.d.T. )

    2 - « La femme est légère / Plume dans le vent / Elle change d’accent / Et de sentiment. » Air célèbre tiré du dernier acte de Rigoletto de Giuseppe Verdi, créé à La Fenice de Venise le 11 mars 1851. ( N.d.T. )

    3 - «  For want of a nail  » est une chansonnette extraite de La Science du bonhomme Richard de Benjamin Franklin (1758). On en trouve un écho dans le conte des frères Grimm, Le Clou (ajout de 1843). ( N.d.T. )

    4 - « Femme. » ( N.d.T. )

    5 - « Nous sommes arrivés, mademoiselle. » ( N.d.T. )

9
    Tron, vêtu de sa veste d’intérieur en velours rouge, fermée par un cordon, laissa tomber sur ses genoux le manuscrit qu’il était en train de lire et jeta un regard attendri vers le poêle en faïence blanc dans un coin du salon. Qu’il faisait bon dans le palais Balbi-Valier ! Ensuite, il jeta un regard tout aussi attendri à la princesse, assise dans sa méridienne de l’autre côté de la petite table basse, en train de lire ses dossiers. Elle se livrait à cette activité tous les soirs après dîner, pendant qu’il étudiait les manuscrits pour le prochain numéro de l’ Emporio della poesia . Au fond, pensa-t-il, ils menaient désormais une vie de vieux couple. Ils avaient leurs rituels, leurs habitudes, leurs susceptibilités et leurs petites disputes. Ils s’étaient faits à l’idée que sa mère désapprouvait leurs fiançailles interminables. Et par chance, la princesse n’avait pas de parents. Eux aussi les auraient certainement poussés au mariage.
    Pas de parents ? Enfin, pas tout à fait. Il y avait tout de même ce… Non ! Stop ! Tron était résolu à faire preuve de force de caractère et à ne plus accorder au neveu de la princesse une seule pensée de toute la soirée. Un neveu que la comtesse avait malgré tout qualifié de beau et intelligent . Ce qui était probablement très exagéré. Ou bien se pouvait-il que ce verdict reflétât la vérité ? Devrait-il peut-être prier Maria de lui montrer un portrait du jeune homme ? De cette manière, il saurait au moins s’il était vraiment… Bon sang ! Pourquoi ne réussissait-il pas à se sortir de l’esprit ce neveu beau et intelligent  ?
    La princesse portait sa confortable robe d’intérieur en cachemire noir. Elle avait fixé un lorgnon sur son nez et tenait dans la main droite un crayon rouge avec lequel elle notait de temps à autre une remarque dans la marge. Comme d’habitude après le dîner, elle se rattrapait sur le café et les cigarettes tandis que lui piochait des fruits candis dans une coupelle en argent. Tron poussa un profond soupir. Puis il fourra une cerise enrobée de sucre dans sa bouche et se replongea dans la lecture du manuscrit. Par bonheur, il avait toujours eu une grande capacité de concentration.
    L’histoire que lui avait adressée un certain Arrigo Boito de Milan était captivante et bien écrite, quoique truffée d’expressions dialectales. C’était la dernière mode chez les auteurs piémontais. Ils s’appelaient les Scapagliati – les Débauchés. Pour eux, Manzoni était bon à mettre au rancart. Incroyable ! Tron secoua la tête. Manifestement, il n’était plus dans le coup. Savait-il au juste ce que la fougueuse jeunesse d’aujourd’hui lisait ? Ce que lisait par exemple ce… Non ! Tron s’était promis de ne

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