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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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attention aux petits nuages de buée qui sortaient de sa bouche. Le scaldino ridicule ne suffisait pas à chauffer la chambre minuscule dont l’unique fenêtre donnait sur le rio della Fava. Il n’y avait pas d’armoire, juste quelques patères. Le seul meuble, en dehors du lit collé contre le mur, était une table de toilette sur laquelle il avait posé sa mallette contenant les scalpels. La chambre était hors de prix, mais pour la peine, le réceptionniste s’était abstenu de contrôler son identité.
    En fait, il se comportait depuis la veille comme si c’était lui qui avait tué la jeune femme, et non cet inconnu qui lui avait ouvert la porte. Si la police de Venise parvenait à reconstituer son emploi du temps après son départ de la pension Seguso , on le tiendrait inévitablement pour l’assassin.
    Il s’éloigna de la fenêtre, s’approcha de la table de toilette et ouvrit sa mallette à échantillons. Les scalpels, rangés avec soin dans leur écrin de velours vert, brillaient dans la pénombre : il y en avait deux douzaines, des grands et des petits, tous de forme différente, destinés à divers usages. La mallette à échantillons avait quelque chose de réel, un caractère de sérieux et de respectabilité. Elle lui rappelait qu’avant le début de ce cauchemar il menait une vie normale.
    Il était maintenant un peu plus de deux heures de l’après-midi. Une femme de chambre avait sans doute découvert le corps dans la matinée. Il essayait d’imaginer l’arrivée de la police sur le lieu du crime : un commissaire et deux sergents, sûrement pris de nausée à la vue du cadavre. Bien entendu, ils commenceraient par interroger le réceptionniste. Qu’est-ce qu’il avait vu ? Deux hommes masqués, se distinguant à peine l’un de l’autre. Cela ne les mènerait pas bien loin. Alors les enquêteurs chercheraient à établir l’identité de la jeune femme. Tôt ou tard, ils apprendraient qu’elle racolait au Mulino rosso . Qu’est-ce que cela leur apporterait ?
    Il réfléchit. Combien de temps avait-il discuté avec la belle blonde l’autre soir ? Dix minutes tout au plus. Dès qu’ils furent convenus du rendez-vous, elle s’était évanouie dans la foule, et lui-même était parti peu après. Il portait un loup noir, comme la moitié des étrangers à Venise en cette saison. Non, vraiment, aucune trace ne permettait de remonter jusqu’à lui. Par ailleurs, même s’il s’était comporté comme un âne à son retour de la pension Seguso , il était également peu vraisemblable que le personnel du Regina e Gran Canal , où il avait logé jusque-là, alertât la police.
    Dans le principe, il n’aurait pas été obligé de quitter précipitamment son hôtel, s’il n’avait pas posé la main sur le comptoir pour réclamer sa clé – au beau milieu du registre, où il avait laissé une énorme tache de sang – et s’il ne s’était pas affolé quand le réceptionniste lui avait proposé d’aller chercher le médecin de l’hôtel. Il était devenu cramoisi, avait bafouillé quelques mots incompréhensibles et s’était enfui. Une fois dans sa chambre, il avait constaté que ses manchettes étaient maculées, ce que le réceptionniste avait forcément remarqué.
    Il s’était laissé tomber sur son lit et avait tenté de reconstituer les événements depuis l’instant où il s’était rendu compte que la jeune femme ne respirait plus. Il avait dû soulever le couvre-lit car il avait vu le corps, une image aussi précise que les photographies achetées sur la place Saint-Marc.
    La femme était allongée sur le côté, la bouche entrouverte. Une mèche blonde recouvrait son œil droit. Un anneau bleuté lui entourait la gorge. Il lui avait fallu un moment pour comprendre qu’on l’avait étranglée. Et il lui avait fallu encore quelques secondes pour se rendre compte qu’il n’avait vu jusque-là qu’une partie de l’horreur. L’insignifiant début, pour ainsi dire.
    Le sang, brillant comme du vin rouge dans la lueur des chandelles, formait une pellicule en dessous des arcs costaux ; de larges traînées sillonnaient le ventre et le haut des cuisses. C’est alors qu’il avait aperçu la plaie par où le sang s’était écoulé. Loin de lui l’envie de s’y arrêter. Cependant, il n’avait pu en détourner les yeux. Une entaille béante, tout en longueur, qui partait du nombril et traversait l’abdomen en biais avant de disparaître dans une mare de sang.

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