Requiem sous le Rialto
reste. Les deux sergents que l’inspecteur avait envoyés en éclaireurs demeuraient invisibles.
— J’ai fait porter deux chaises et quelques boissons à vos hommes, expliqua le propriétaire après s’être incliné poliment. Ils montent la garde devant la porte. Troisième étage, chambre 4.
À l’entendre, on aurait pu croire que l’arrestation d’un éventreur appartenait au quotidien de l’hôtel. Quoique grand et maigre, il rappelait à Tron le propriétaire de la pension Seguso .
— Et l’assassin ?
— Ligoté sur le lit. Ses blessures sont moins graves qu’il n’y paraissait au premier abord. Il arrivait même à parler.
— Comment le savez-vous ?
M. Crespi eut un sourire peiné.
— Parce qu’il m’a couvert d’insultes ordurières.
— C’est vous qui l’avez ligoté ?
Il hocha la tête avec pondération.
— Cela me paraissait judicieux. Bien sûr, ce monsieur était encore inconscient. Quand il est revenu à lui, j’avais presque terminé. Il s’est débattu comme un forcené.
Tron jeta un coup d’œil autour de lui.
— Et la demoiselle qui l’a frappé ?
— Mlle Dolci attend dans mon bureau.
De sa main soignée, M. Crespi désigna une porte entrouverte derrière le comptoir.
— Est-elle blessée ?
— Par bonheur, non. Elle est en train de se restaurer.
Mlle Dolci était effectivement en train de se restaurer. Assise sur un divan en tissu rouge dans la pièce de derrière, elle buvait du café et mangeait du gâteau. Quand Tron et Bossi entrèrent, elle replia la Gazzetta di Venezia dans laquelle elle était plongée. Du moins en apparence, songea Tron. La plupart des femmes de sa profession ne savaient pas lire, sauf qu’à Venise, la ville des courtisanes cultivées, elles faisaient volontiers semblant.
Pour une femme qui venait d’échapper à la mort, elle donnait une impression d’étonnante sérénité. Le commissaire ne fut pas surpris de constater qu’elle était blonde. L’éventreur en voulait clairement à ce genre de femme.
— Je suis le commissaire Tron, se présenta-t-il. Et voici l’inspecteur Bossi.
Il fit un pas dans la pièce sans manifester pour autant l’intention de s’asseoir.
— Comment vous sentez-vous ?
Mlle Dolci se cala dans le divan.
— Je vais bien, merci, commissaire.
D’après son accent, elle venait de Trieste. Tron sourit.
— Je m’en réjouis. Accepteriez-vous de répondre à quelques questions ?
Elle acquiesça.
— Où avez-vous rencontré cet homme, mademoiselle ?
— Au Stella .
— Quand ?
Elle réfléchit un instant.
— Vers huit heures. Nous sommes arrivés ici dix minutes plus tard.
— Avez-vous discuté ?
Elle secoua la tête.
— Il m’a juste demandé d’où je venais, ce que je lui ai dit.
— Vous êtes de Trieste ?
— Presque, commissaire.
Elle sourit.
— Je suis née à Capodistria. Mais ma mère était originaire de Trieste.
— Vous a-t-il dit d’où il venait, lui ? voulut savoir Tron.
— Non. Je ne lui ai pas non plus posé la question. Cependant, il parlait comme un étranger.
— Et vous n’avez pas eu peur ? Malgré son accent étranger et son loup ?
De nouveau, elle secoua la tête.
— Comment cela se fait-il ? insista le commissaire.
— Parce que j’étais persuadée que le tueur avait déjà quitté Venise.
— Que s’est-il passé, une fois dans la chambre ?
— Il s’est assis sur le lit et m’a ordonné d’accrocher sa redingote à un cintre.
— Ordonné ?
— Oui, tout à coup, il s’est mis à parler sur un ton de commandement.
— Vous avez obéi ?
Mlle Dolci acquiesça.
— C’est ainsi que j’ai découvert le rasoir. Après avoir senti quelque chose dans une poche, j’ai été gagnée par la curiosité, peut-être même par la méfiance. J’ai donc sorti l’objet et reconnu un rasoir.
— Comment avez-vous réagi ?
— J’étais pétrifiée d’angoisse.
— Pourquoi n’êtes-vous pas sortie de la chambre à toutes jambes ?
La question s’imposait. Tron eut pourtant l’impression que Mlle Dolci elle-même en ignorait la réponse. Elle fixa les dents de sa fourchette d’un air déconcerté.
— Je ne peux pas vous le dire, commissaire. Peut-être étais-je tout simplement furieuse.
— Continuez !
— Alors je me suis retournée et me suis approchée du lit à pas lents.
— Pour faire quoi ?
— Pour l’assommer avec la bouteille de
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