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Requiem sous le Rialto

Requiem sous le Rialto

Titel: Requiem sous le Rialto Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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champagne. Je l’ai touché au front et il a perdu connaissance. Ç’a été plus facile que je ne l’avais pensé.
    — Et ensuite ?
    — Ensuite, j’ai crié. Aussi fort que j’ai pu. Et M. Crespi est brusquement apparu dans l’embrasure de la porte.
    Mlle Dolci reprit sa fourchette à gâteau.
    — Le cauchemar est-il fini maintenant ?
    Tron sourit – surtout à cause de son geste.
    — Oui, le cauchemar est fini.
    La jeune femme piqua une bouchée de moelleux aux cerises et dit d’une voix fâchée :
    — Il avait l’air absolument normal.
     
    Il avait l’air absolument normal , songea Tron en gravissant l’escalier derrière Bossi. L’après-midi même, Mlle Maggiotto avait utilisé à peu près les mêmes termes pour désigner son agresseur, et huit jours plus tôt, le gondolier également. L’assassin n’était donc pas un monstre qui roulait les yeux, l’écume aux lèvres, mais un homme dont le cerveau semblait fonctionner parfaitement, à ceci près qu’un défaut le poussait à tuer et à éventrer des prostituées. Au premier abord, continua de méditer le commissaire, il paraissait tout aussi normal que ce commandant de l’armée piémontaise qui avait massacré plusieurs douzaines de femmes et d’enfants. Comparé à ce monstre, l’éventreur de Venise était même un petit joueur.
    Le couloir au troisième étage de l’ Imperiale était plus large que Tron ne s’y était attendu. Trois lampes à pétrole pendaient au plafond. Sous celle du milieu, Pucci et Caruso jouaient aux cartes. La manière dont les deux sergents surveillaient le tueur qu’ils recherchaient de manière fébrile depuis plus d’une semaine avait un côté paisible frisant le grotesque. Dès qu’ils aperçurent leur supérieur, les deux agents se levèrent et le saluèrent.
    — On ne l’a plus entendu, déclara Pucci, la main toujours vissée à la tempe.
    — Mais alors, rien de rien, renchérit Caruso.
    Tron jeta un regard discret en direction de Bossi. Devait-il lui laisser la priorité ? L’inspecteur serait-il fier d’entrer dans la chambre en premier ? Non, c’était peu vraisemblable. Le courage de Bossi n’avait rien d’héroïque.
    — Ouvrez, ordonna-t-il d’un ton résigné.
    Tron vit le sergent Pucci tourner délicatement la clé vers la gauche, avec l’expression tendue d’un démineur en train de désamorcer une bombe. Quand il eut reculé, le commissaire appuya sur la poignée et poussa le battant du pied. Par précaution, il resta sur le seuil.
     
    L’homme, le monstre à l’air absolument normal , était allongé sur le lit, les jambes repliées, dos à la porte. La corde à linge utilisée par M. Crespi pour lui lier les pieds était bien visible. Ses mains, attachées contre sa poitrine, demeuraient en revanche cachées. Il était en bras de chemise, bien qu’il eût gardé ses bottes. Dans l’armoire ouverte, Tron vit sa redingote pendue à un cintre. Avec la pièce à conviction dans la poche.
    Il fit un pas, puis s’arrêta pour jouir de l’instant. Il inspira profondément, puis expira. Ils le tenaient enfin. Dommage qu’ils ne puissent pas présenter cette arrestation comme l’ aboutissement de l’enquête (une expression tirée du répertoire de Bossi). N’empêche, ils pourraient toujours trafiquer le rapport officiel. Tron s’apprêtait à dire : « Passez-lui les menottes et mettez-lui des chaînes aux pieds » quand l’assassin roula sur le dos et le fixa du regard.
    La bouteille de champagne avait laissé une énorme bosse sur son front. Comme toujours pour les plaies à la tête, le sang avait coulé à flots. Il s’était répandu sur sa joue et formait un masque couleur ocre sur toute une moitié de son visage. Ce maquillage involontaire lui donnait un air de carnaval – il ne manquait plus que le petit chapeau – si bien que Tron ne le reconnut pas tout de suite.
    Au bout de quelques secondes cependant, plus aucun doute ne fut permis. C’était bien le colonel Stumm von Bordwehr en personne, l’homme aux sourcils qui se rejoignaient – Julien avait donc raison. Un officier de l’armée impériale qui trucidait et étripait les femmes ne pouvait être que fou. Personne n’aurait eu l’idée de le tenir pour responsable de ses actes. Une demi-douzaine de médecins militaires attesteraient son irresponsabilité. Ils l’enfermeraient dans un asile et effaceraient ses crimes de la mémoire collective. Ainsi que des statistiques

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