Retour à l'Ouest
en Asie, des villes vers la steppe – tout aussi
cruelle du reste. En 1552, grâce aux armes à feu, le tsar Ivan le Terrible s’empare
de Kazan, capitale de la Horde d’Or, la met à sac, en massacre la population :
la puissance mongole est finie en Russie. Les Russes vont bientôt commencer la
conquête de la Sibérie. En 1696, un empereur de Chine, auquel les jésuites ont
appris à fondre des canons, repousse une dernière tentative d’invasion mongole.
De ce drame immense qui se déroule pendant au moins treize siècles, assez bien
connus sur un double continent, l’on perçoit ainsi les ressorts, les mobiles, les
instruments, la nécessité. Aucune fatalité ne le domine ; le génie des
peuples n’y est point cause, mais fonction. Selon le mot de Marx, « l’Histoire
n’est rien que l’activité de l’homme poursuivant ses fins… ».
Une négociation laborieuse *
17-18 juin 1939
On n’en est plus à compter les péripéties de la négociation
anglo-soviétique. Le lecteur qui veut bien suivre ces chroniques n’en aura pas
été surpris outre mesure. Dès la démission forcée, disons mieux, la soudaine disparition
politique de Litvinov, j’indiquais dans
La
Wallonie
des 13-14 mai, d’après les journaux soviétiques mêmes, que
l’URSS se préparait à « marchander sa sympathie » aux États
démocratiques ; et je montrais, textes à l’appui, qu’elle la marchandait
aussi, quoique autrement, aux États totalitaires. Staline, parlant, au début de
mars, au XVIII e Congrès du PC de l’URSS, n’avait-il pas dénoncé avec
une pesante ironie les menées « provocatrices » de la presse
anglo-française et nord-américaine qui s’était, disait-il, efforcée « d’exciter
la fureur de l’URSS contre l’Allemagne, d’empoisonner l’atmosphère et de
provoquer sans raisons un conflit entre l’URSS et l’Allemagne ? » On
m’excusera de citer de nouveau ces paroles significatives. Bien entendu, Litvinov
disparaissant, il fut répété à diverses reprises que la politique étrangère de
Staline ne changerait pas ; chacun sait qu’il est des choses qu’on nie
précisément pour les faire. Depuis, la négociation s’est révélée bizarrement
longue et difficile – si toutefois l’on veut aboutir ; autrement ses
longueurs ne sont que trop explicables. M. Potemkine, sous-commissaire du
peuple aux Affaires étrangères, s’est abstenu de se rendre à Genève où l’attendait
la SDN. Le maréchal Vorochilov, invité aux grandes manœuvres anglaises, s’est
révélé dans l’impossibilité d’y aller ; mais s’il faut en croire des
dépêches d’agences qui n’ont pas été démenties, il a fait une tournée d’inspection
à la frontière polonaise… Les variantes successives des propositions
franco-britanniques ont été tour à tour écartées par Moscou. M. Molotov, président
du conseil et successeur de Litvinov, a parlé : ç’a été pour laisser
clairement entendre que l’URSS pourrait bien négocier avec l’Allemagne si ses
exigences n’étaient pas admises par Londres. Bref, la conclusion d’un pacte que
l’on croyait pouvoir publier d’un jour à l’autre, est apparue singulièrement
malaisée.
Qu’en est-il au juste ? À la vérité le pacte
anglo-franco-soviétique est à la fois impossible et nécessaire… Impossible
parce qu’il se heurte du côté russe à des intérêts trop puissants ; nécessaire
pourtant parce que l’on s’est trop engagé dans cette voie, pour des raisons
puissantes aussi, quoique moins décisives.
Analysons brièvement ces mobiles contraires. L’URSS n’aurait-elle
pas tout intérêt à ne pas s’engager pendant un conflit européen, à réserver ses
forces, à faire payer sa neutralité pour intervenir à la fin, à son heure, comme
un arbitre formidablement armé ? Peut-elle consentir à défendre au prix d’une
guerre les frontières actuelles de la Pologne et de la Roumanie, pays qui
comptent environ dix millions de sujets que l’URSS est fondée à réclamer pour
des raisons ethniques, géographiques, historiques ? Rappelons qu’il y a 7
millions d’Ukrainiens en Pologne, dont l’Ukraine soviétique ne peut pas ne pas
souhaiter le rattachement ; et 2 millions de Blancs-Russiens, frères de
ceux de la République soviétique de Russie blanche ; rappelons que l’URSS
n’a jamais reconnu l’annexion de la Bessarabie par la Roumanie. Et puisqu’il
est beaucoup question des pays baltes,
Weitere Kostenlose Bücher