Retour à Soledad
dans la chambre de veille, en attendant le changement de quart.
– Et Murray ?
– La belle Varina lui a demandé de rester avec elle... jusqu'à ce que le bateau cesse de se trémousser ! C'est son expression, qui n'a rien de maritime, dit le médecin en humant le vin capiteux.
Quand, la bouteille vidée, Charles et Uncle Dave regagnèrent chacun sa chambre, le steward émit quelques vagues considérations sur la perversité des grains blancs avant d'éteindre les appliques dans lesquelles, depuis peu, le pétrole lampant avait remplacé l'huile de baleine.
– Bien que nous soyons comme ces lampes, montés sur rotules, nous ne tiendrons pas aussi aisément qu'elles la position verticale, prédit le médecin en passant la porte, cramponné au chambranle.
Confiant dans le voilier et son capitaine, Desteyrac s'endormit aussitôt qu'allongé. Il se souvint plus tard avoir rêvé qu'il montait un étalon rétif, quand il fut tiré du sommeil par la voix de Mark Tilloy qui avait fait brutalement irruption dans sa chambre. Ouvrant un œil, l'ingénieur devina plus qu'il ne vit dans la pénombre son ami, portant à pleins bras un lourd fardeau qu'il prit pour un fatras de toile.
– Que voulez-vous ? Est-ce le sauve-qui-peut ? annona-t-il d'une voix pâteuse.
– Bon sang, Charles ! Levez-vous et donnez de la lumière, cria le capitaine.
Rendu à la lucidité, Desteyrac quitta sa couche, craqua une allumette, alluma une chandelle. Aussitôt, Mark déposa sans précaution sur le lit une femme en chemise.
– Gertrude Lanterbach, dit Tilloy, comme s'il se fût agi de faire les présentations.
La batiste mouillée épousait les formes amples et fermes du corps de l'Alsacienne. Sous ses longs cheveux blonds collés au visage, elle était d'une effrayante pâleur.
– Par ce temps, se promenait-elle en chemise de nuit sur le pont ? interrogea Charles, incrédule.
– Je l'ai rattrapée au moment où elle enjambait la lisse pour sauter à la mer.
– Sauter à la mer !
– Oui, elle voulait en finir avec la vie, mon vieux. Mais elle a besoin de soins. Je vais réveiller Kermor. En attendant, couvrez-la : elle grelotte ! dit Tilloy.
Charles jeta une couverture sur Gertrude qui, les yeux clos, remuait la tête comme pour exprimer en silence une dénégation. S'avisant enfin qu'il était lui-même en chemise, il enfila son pantalon et prit une serviette pour essuyer le visage de la jeune femme.
L'esprit clair dès le réveil, Uncle Dave réagit en praticien.
– Aidez-moi à la déshabiller, dit-il à Charles et à Mark.
– Mais... sa pudeur ! émit Tilloy.
– C'est la pudeur ou la congestion ! Il faut lui retirer ces nippes trempées et la réchauffer.
Comme les deux amis hésitaient, David Kermor s'emporta.
– Vous n'avez jamais vu une fille à poil ? God'dam' 6 ! Vous en faites, des manières ! Allez, ôtez tout ce qu'elle a sur la peau ! Et donnez-moi des serviettes et de l'alcool, si vous en avez.
Charles apporta du linge et, en s'excusant, une bouteille de gin.
– Le seul alcool dont je dispose, docteur.
– L'eau de Cologne eût été préférable. La belle va puer comme une ivrognesse. Enfin ! Beau morceau de femme, en tout cas. On va la tirer de là. Elle peut encore servir, non ? dit le médecin, retrouvant des accents de carabin.
Il frictionna vigoureusement le corps inerte et pinça les joues, qui reprirent des couleurs. Gertrude entrouvrit les paupières sur un regard flou, puis s'absenta de nouveau.
– Cette imbécile a dû avaler un soporifique avant d'aller se promener sous la pluie, dit le médecin.
Mis au courant de la tentative de suicide interrompue par Tilloy en tournée d'inspection, Uncle Dave changea de ton.
– Couvrez-la. Il faut qu'elle ait chaud et, si possible, empêchez-la de dormir. Giflez-la s'il le faut. Je vais chercher de quoi faire un lavage d'estomac. Faudrait pas, si la dose est léthale, qu'elle nous fausse compagnie ! Que l'un de vous deux aille dans sa chambre et essaie de trouver ce qu'elle a bien pu avaler, dit David Kermor avant de sortir.
Tilloy revint bientôt avec un petit flacon ayant contenu un narcotique à base de belladone, ce qui décida le médecin à faire boire sans ménagement à Gertrude de la poudre d'ipéca diluée dans de l'eau sucrée.
– Je ne connais pas meilleur vomitif,
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