Retour à Soledad
dérouta d'un bond qui fit frémir ses structures.
– Ces imbéciles ne nous avaient pas vus, dit le major Carver qui tenait allègrement son poste de veilleur.
Le démenti fut immédiat. Telle une comète montée de la mer, la traîne jaune d'une fusée raya la nuit.
– Cette fois, ils nous ont vus. Messieurs, la chasse est ouverte ! lança le pilote.
Il ordonna cap plein ouest, dans la direction de l'embouchure de Cape Fear River.
– C'est aussi excitant que la chasse du renard ! s'écria le major.
– Certes, mais nous sommes le renard, répliqua Colson.
Le poursuivant que l' Arawak avait évité de justesse fut vite distancé, mais deux autres patrouilleurs, plus proches de la côte, alertés par la fusée et dont on ne distinguait que vaguement les formes, prirent des routes convergentes pour couper celle du vapeur.
Tilloy jeta à Colson un regard interrogateur.
– Faites ce que vous pensez devoir faire, capitaine, dit Lewis qui avait compris l'attente du marin.
– Je ne crois pas que nous puissions passer entre les deux, mais je vais faire comme si, lâcha précipitamment Tilloy.
– Faisons comme si, fit Lewis en écho.
Penché sur le tube acoustique, Mark autorisa le mécanicien à laisser monter jusqu'au rouge la pression de la vapeur.
– Permettez que je prenne la barre, dit Colson au timonier.
L'interpellé abandonna sans réticence la gouverne au commandant.
Mark approuva ce changement d'un signe de tête.
– Il serait inélégant, dans la circonstance, de laisser à ce marin une telle responsabilité, souffla Lewis à Charles.
Pendant quelques minutes, le battement accéléré des roues à aubes, sous le pont le ronflement infernal de la chaufferie et, à l'avant, le cri rageur de la mer déchirée par l'étrave d'acier meublèrent le silence. Chacun retenait son souffle et tous, les yeux exorbités, fixaient le passage qui allait se rétrécissant entre les bricks fédéraux.
– Ils viennent à notre rencontre, constata Charles sans plaisir.
Ses jumelles rivées aux yeux, Mark Tilloy ne semblait pas s'inquiéter du risque de collision. Il ne s'émut pas davantage du coup de semonce tiré par le bateau le plus proche, dont la mâture désignait un brick. À bord, tous les hommes, silencieux et tendus, attendaient de connaître le choix du capitaine.
Les deux navires n'étaient plus qu'à quelques encablures et l'on pouvait prévoir qu'ils allaient prendre l' Arawak en étau, quand Tilloy décida de l'esquive.
– Barre à gauche, toute ! lança-t-il à Lewis.
Dans une telle situation, les vrais marins se comprennent sans un mot et savent, avant qu'elle ne soit enclenchée, la seule manœuvre qui s'impose.
Les mains crispées sur les manetons, Lewis Colson n'attendait que l'ordre de Mark. Sans brusquerie, mais en y mettant toute sa force, il imposa le changement de cap au navire en pleine vitesse. L' Arawak s'inclina sur bâbord, puis se redressa, et Charles eut le sentiment que le flanc droit du vapeur venait de frôler la proue d'un des américains. Un nouveau coup de semonce, tiré par celui-ci, alla se perdre loin de l' Arawak .
Les capitaines fédéraux, déconcertés par cette manœuvre et contraints à virer de bord, perdirent un précieux temps, ce qui permit à l' Arawak de prendre de la distance. Sans réduire la vitesse, Mark Tilloy fit remettre le cap vers la côte, dont l'aube naissante révélait la ligne sombre.
– Maintenant, à vous de guider, dit Tilloy au pilote, tandis que Lewis rendait la barre au timonier.
Smith's Island, qui partage en deux chenaux l'embouchure de Cape Fear River, apparut alors que diminuaient au large les silhouettes des chasseurs américains.
Le pilote conseilla d'engager l' Arawak dans le chenal de droite pour remonter l'estuaire sous la protection des canons de Fort Fisher. Un navire, censé en interdire l'entrée, fut habilement trompé par Tilloy qui simula une entrée par la gauche de Smith's Island. Cette fois encore, la manœuvre réussit pleinement et, une fois passé ce dernier danger, le capitaine fit réduire la vitesse.
Pour décourager toute poursuite, les canons de Fort Fisher tonnèrent.
– Le fort dispose de quarante canons répartis en plusieurs bastions, dont six Whithworth qui tirent des charges de vingt-quatre livres à plus de huit cents yards. Le commandant du fort, le
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