Retour à Soledad
j'étais sûr qu'elle m'aimait. Alors, que lui a-t-on dit de moi pour que, soudain, elle se dérobe ? demanda Mark, visiblement malheureux.
– Gertrude a une réelle affection pour Ounca Lou et grande confiance dans son jugement, mais elle ne semble pas avoir fait confidence de votre demande, ni de la réponse qu'elle vous a donnée. Nous avons seulement constaté qu'elle paraissait moins gaie, parlait peu, sinon pour dire que, sans Pacal, à qui elle est fort attachée, elle quitterait Soledad. Ce qui nous a surpris.
– Je ne sais que faire, avoua le capitaine, de qui Charles évaluait le désenchantement.
– De retour à Soledad, je rapporterai notre conversation à Ounca Lou. Elle saura bien faire parler Gertrude, conclut l'ingénieur.
Le lendemain matin, la traversée ayant été, malgré une mer forte et des vents tournants, rapide et sans aléas, Charles Desteyrac, aussitôt que débarqué à Nassau, se rendit seul au Royal Victoria Hotel. Il voulait épargner à Murray la présence d'un témoin. Sous les arcades, dans le hall et au bar grouillait la faune interlope qui, depuis le blocus des États du Sud, constituait, à toutes les heures de la journée, la clientèle du palace. Informé par un portier, le visiteur trouva Malcolm Murray attablé devant un copieux breakfast, à l'ombre d'un parasol, dans un espace tranquille du jardin.
– Figurez-vous, Charles, que je m'attendais à vous voir. Mon cher oncle et beau-père a le sens de la famille. Prévenu par le gouverneur, il ne pouvait envoyer à Nassau que Carver ou Desteyrac pour me tirer d'affaire. J'imagine que le major use ses dernières forces pour honorer la sorcière Lamia, et je préfère que ce soit vous qui soyez là.
Bien qu'habitué à la désinvolture et au persiflage de l'architecte, l'accueil de Murray déplut à Charles, aussi en vint-il brutalement à l'objet de sa mission.
– Il va falloir faire les comptes, décréta-t-il, sans préambule.
– Certes, nous ferons les comptes. En attendant, on va vous servir le plus anglais des breakfasts de l'archipel, dit Murray en faisant signe à un serveur d'approcher.
La collation commandée, Malcolm tira un papier de sa poche.
– Les comptes sont simples : je dois environ mille deux cents dollars à des gentlemen plus chanceux que moi.
– C'est une somme énorme ! Comment avez-vous fait pour vous engager jusque-là ?
– Demandez plutôt à un ivrogne comment il fait pour se saouler, Charles. Le jeu est un alcool. Verre après verre, partie après partie. On ne jette pas les cartes quand on perd. Ça ne se fait pas. De la même façon, qui ramasse la mise ne se retire pas subito du jeu avec son gain. Ce serait inélégant. Les gagnants de bonne compagnie donnent au perdant la possibilité de se refaire, comme nous disons. Or, il arrive que la malchance s'obstine jusqu'à ce qu'un joueur charitable dise : « Vous avez assez perdu. Arrêtons. »
– Peut-être a-t-on tardé à vous dire « Arrêtons », ironisa Charles.
– Mon ami, nous n'allons pas épiloguer sur ma manière de jouer... et de perdre. J'ai perdu : c'est tout. J'imagine que mon oncle vous a donné pour moi une lettre de crédit ? enchaîna Malcolm comme si la chose allait de soi.
– Lord Simon m'a donné une lettre de crédit, mais elle est à mon nom. Je suis chargé de vérifier les créances et de payer moi-même vos créanciers, dit Desteyrac.
– Ça alors ! La confiance règne, à ce que je vois ! Le Vieux m'empêche de régler moi-même mes dettes de jeu, qui sont dettes d'honneur ! C'est humiliant ! Il craint qu'avec sa mise je ne tente encore d'amadouer la chance ?
– Cette pensée a dû l'effleurer, admit Charles, souriant.
– Je ne suis pas d'humeur à accepter un tuteur, même s'il est mon meilleur ami. Vous tirerez l'argent de la banque et me le remettrez afin que je désintéresse moi-même ceux qui m'ont fait confiance, s'écria Malcolm, frémissant de colère.
Ennuyé par la tournure de l'entretien, Charles Desteyrac vida sa tasse de thé, prenant ainsi le temps de la réflexion.
– Je n'ai pas vocation de tuteur, Malcolm. Comprenez que cette situation m'embarrasse. C'est pour vous aider que j'ai accepté les consignes de notre commun beau-père. Considérez-moi non comme un tuteur imposé, mais comme un secrétaire venu régler les notes. Ce que je compte faire, même si la
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