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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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travailleurs cubains – les nègres surtout, esclaves ou affranchis – ont compris que les réformistes n'obtiendraient jamais aucune concession. On dit que les idées radicales ont fait leur chemin en vingt ans et que des révoltes ne sont maintenant pas à exclure, expliqua lord Simon, toujours bien informé.
     
    – Ce sont des ragots répandus par les pasteurs abolitionnistes. Mais ce n'est pas ce genre de menace qui me ferait vendre ma plantation de canne. N'ayant plus de raison de conserver des propriétés que je destinais à mon fils aîné, je compte en tirer un bon prix, car les acquéreurs ne manquent pas. Nous sommes a peu près assurés que le président Buchanan, dès qu'il aura réglé le sort des mormons et de l'Utah, décidera le Congrès à acheter Cuba aux Espagnols, ou prendra l'île par la force pour en faire un nouvel État américain. Un État où sera continuée l'institution particulière que vous n'approuvez pas ! asséna Bertie III.
     
    Sans répondre à cette ultime provocation, lord Simon donna une chaude accolade au planteur. Ce Cornfield, descendant des premiers colons des Carolines, homme droit, sincère, bon protestant, grand travailleur et fort généreux quand il s'agissait de secourir malheureux et malades, lui inspirait plus de pitié que d'agacement. Il attendit que le Southern Star se fût éloigné du quai pour coiffer son panama. Alors seulement il se tourna vers son vieil ami Carver.
     
    – Un jour, Eddie, nous le verrons revenir ici avec sa famille... à moins que les nègres ne leur aient à tous tranché la gorge avant de brûler leurs beaux manoirs, dit-il avec un hochement de tête résigné.
     

    Cette année-là, Noël fut célébré dans une atmosphère devenue familiale et confiante. Sous le soleil glorieux qui tiédissait un air limpide – le thermomètre marquait 27 degrés centigrades, et le jasmin d'hiver resplendissait –, on se réunit à Cornfield Manor.
     
    Pour Charles Desteyrac, qui se souvenait des Noëls de France, enneigés et froids, cette fête de la Nativité sous les tropiques avait quelque chose d'irréel.
     
    Sur la galerie du manoir, où l'on avait dressé deux jeunes pins enrubannés d'or et de pourpre, lord Simon présida à la distribution des présents. Les parents de Pacal reçurent le lit d'acajou promis au cours de l'été. Lamia remit à son filleul un hochet d'argent à manche d'ivoire auquel l'enfant de cinq mois préféra aussitôt le pantin de sisal confectionné par Adila, la fille la plus délurée de Maoti-Mata. Habile à tresser chapeaux et paniers destinés au marché de Nassau, la jeune Arawak ne rêvait qu'aller étudier en Amérique. Depuis peu promue nurse de Pacal, elle vivait chez les Desteyrac, et Ounca Lou lui apprenait à écrire correctement l'anglais. C'était façon de reconnaître les services de l'adolescente, car on eût outragé Maoti-Mata en rémunérant la fille d'un cacique comme une domestique.
     
    Bien qu'il ne fût pas d'usage à Soledad de faire pour Noël des cadeaux aux grandes personnes, Ottilia posa sur les épaules de sa demi-sœur un châle de cachemire et lui offrit un flacon d'Eau lustrale, de Guerlain, rapportés de Paris.
     
    – Que puis-je, moi, vous offrir en échange ? murmura Ounca Lou, assez émue.
     
    – L'amour et la confiance d'une sœur, dit Ottilia en l'embrassant.
     

    La semaine suivante, l'avènement de 1858 fut marqué, ainsi que le voulait lord Simon chaque année, par une grande fête publique dans le parc de Cornfield Manor. Cette nuit-là, comme pour le goombay , il était d'usage, pour les membres de la famille et les amis intimes parmi les Blancs, de se mêler aux insulaires, de se rendre d'un buffet à l'autre, tous abondamment garnis de conches frites, de jambons, de fruits et de pâtisseries, de participer aux danses traditionnelles des Arawak, aux farandoles des pêcheurs, aux gigues des marins entraînés par le géant roux Tom O'Graney. Simon Leonard Cornfield voyait là une façon patriarcale de rappeler à tous, sans distinction de race ou de rang social, qu'il était à la fois le dynaste et le protecteur de la communauté insulaire.
     
    À un moment ou à un autre de la nuit, chaque Conchy Jo – ainsi que les indigènes appelaient les Blancs – se devait d'aller porter un toast au cacique Maoti-Mata qui, sur une estrade, présidait, à égalité avec lord Simon, les festivités nocturnes. Vêtu d'un costume de cérémonie fait d'une

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