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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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longue tunique en peau de chèvre finement tannée et brodée de signes emblématiques, coiffé d'une calotte festonnée de perles roses trouvées par ses ancêtres dans les conches bahamiennes, il occupait, comme son hôte, un des fauteuils style George IV extraits pour la circonstance du grand salon de Cornfield Manor.
     
    En habit et portant ses décorations, lord Simon tirait de temps à autre sa montre de son gousset comme qui attend un événement. Cinq minutes avant minuit, il demanda que l'on fît taire les musiques et que la foule approchât de l'estrade. Quand le silence fut établi, il se leva, demanda au cacique de l'imiter et fit le signe que guettait un premier maître du Phoenix , chef de musique des équipages Cornfield. Le God Save the Queen fut chanté par les Anglais et quelques indigènes, religieusement écouté par la plupart des assistants, et suivi d'applaudissements.
     
    Charles Desteyrac observa que Tom O'Graney et les marins irlandais des navires du lord demeuraient silencieux. Ils avaient appris, la veille, que le gouvernement britannique considérerait comme peu amicale l'attitude du gouvernement américain si ce dernier venait à soutenir d'une manière ou d'une autre l'Irish Republican Brotherhood 1 qu'un certain J. O'Mahoney, charpentier de son état, était en train d'organiser à New York. Et cela, au moment où l'architecte James Remwick achevait la construction d'une cathédrale dédiée à saint Patrick, grâce aux dons des Irlandais de la ville !
     
    Comme Charles faisait part à Malcolm de l'attitude étonnante des Irlandais de Soledad, l'architecte le tira à l'écart.
     
    – Pendant son séjour à New York, lord Simon, sollicité par Tom, a fait un don pour l'église Saint-Patrick, mais il a déconseillé à notre brave charpentier – pour ne pas dire qu'il lui a interdit – d'adhérer à la Brotherhood de O'Mahoney. Elle est dirigée par les Fenians, ainsi qu'on nomme les membres du parti de la Jeune-Irlande, prêts à tout, même à la révolte armée, pour séparer leur île du Royaume-Uni.
     
    Le crépitement du feu d'artifice, qui marquait le changement de millésime, interrompit la conversation.
     
    Alors que la fête continuait dans les jardins, lord Simon convia les intimes à une plus discrète célébration dans les salons du manoir. Les vœux échangés, un orchestre apparut, et il ouvrit le bal avec Margaret Russell, la doyenne de l'assemblée. Malcolm Murray enleva aussitôt Ounca Lou, laissant Ottilia face à Charles. L'ingénieur se devait d'inviter la jeune femme.
     
    – Savez-vous que je n'ai pas valsé agréablement depuis le soir où, ici même, ont été décidés nos mariages ? Comme cela me paraît lointain, dit-elle.
     
    – Un peu plus d'un an seulement, observa Charles.
     
    – Beaucoup de choses ont changé, n'est-ce pas ?
     
    – Pas tellement, puisque nous nous retrouvons là, en train de danser, comme si le bal n'avait pas été interrompu, dit-il.
     
    Elle sourit, fixant son cavalier de ses yeux pervenche jaspés de noir, obligeant Charles à confondre leurs regards. Il ne cilla point et, quand elle sentit, plus appuyée sur sa taille, la pression de la main de l'homme, un frisson voluptueux, vite réprimé, la parcourut. Ils valsèrent en silence, ne trouvant plus de mots qui ne pussent gâcher le plaisir du moment. Quand cessa la musique, ils se séparèrent, Otti comme à regret, Charles avec le sentiment d'échapper à un coupable et délicieux envoûtement.
     
    – C'est bon de commencer ainsi l'année avec vous, souffla-t-elle.
     
    Puis il la confia à Mark Tilloy, plus fringant que jamais dans son uniforme blanc de nouveau capitaine de la flotte Cornfield.
     
    Ounca Lou ayant été invitée par son père, Charles dut faire danser successivement les deux filles du pasteur Russell, rougissantes et appliquées. C'étaient à la fois leur premier bal habillé et leurs premières valses. Elles avouèrent l'une après l'autre s'être entraînées à virevolter ensemble, tandis que leur gouvernante jouait au piano des valses de Chopin.
     
    – Mais, évidemment, avec un danseur, c'est facile ! Je ne pense plus à mes pieds, dit l'une d'elles, ce que répéta à peu près mot pour mot sa sœur cadette un moment plus tard.
     
    Quand Charles les libéra, impatient de retrouver sa femme, Malcolm Murray se porta candidat pour la prochaine danse et fut agréé par les demoiselles Russell, de qui la mère surveillait

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