Retour à Soledad
Lou à emmener Pacal en promenade. Quand il vint le chercher, un matin, à Valmy, pour un pique-nique au mont de la Chèvre, l'enfant grimpa sans aide, avec l'agilité d'un singe, dans le landau conduit par Pibia. Lord Simon avait préféré ce dernier à son cocher, parce que le majordome, père de famille, saurait mieux se tirer d'affaire en cas de difficulté avec le petit garçon. Tout au long de la route, Pacal étonna son grand-père en donnant leur nom aux arbres et aux plantes dont il précisait avec assurance l'utilité.
– Avec l'acajou on fait des jolis tabourets très solides ; avec la bursera, on arrête le sang du genou quand on est tombé, et la tisane de cascarilla fait passer le mal au ventre, assura-t-il doctement.
Le fils de Charles avait appris de son ami Takitok tout ce qu'un petit Arawak de son âge connaissait d'une façon quasi atavique de la flore insulaire.
D'une extrême débrouillardise, Pacal ne semblait avoir peur de rien ni de personne, et, tandis que la voiture gravissait le chemin en spirale vers l'ermitage du père Taval, il accabla le vieil homme de questions sur les ancêtres Cornfield. L'enfant les imaginait semblables aux chevaliers, Ivahnoé ou Quentin Durward, vus sur les gravures d'une belle édition de 1830 des œuvres de Walter Scott que lord Simon lui avait offerte quelques semaines plus tôt à l'occasion de son quatrième anniversaire.
D'après lord Simon, les Cornfield des siècles passés avaient été de toutes les batailles et de toutes les intrigues politiques. En 1066, un Cornfield s'était battu contre Guillaume de Normandie ; en 1141, un autre Cornfield avait participé à la capture d'Étienne, comte de Blois, qui convoitait le trône destiné à Henri II Plantagenêt. Le même avait abandonné le monarque après l'assassinat de Thomas Becket, archevêque de Canterbury. Un Cornfield, qui accompagnait Richard Cœur de Lion lors de la troisième croisade contre Saladin, était mort sous les murs de Jérusalem et, en des temps plus proches, un autre glorieux ancêtre s'était illustré contre les armées de Cromwell avant de participer, avec le général Monk, après l'exécution de Charles Ier, au retour en Angleterre de Charles II dont les Cornfield tenaient l'île de Soledad depuis cinq générations.
Pacal, ayant écouté, bouche bée, l'évocation de la geste Cornfield, la trouva incomplète.
– Mais les femmes des chevaliers, que faisaient-elles pendant qu'ils étaient à la guerre ?
– Elles attendaient patiemment en priant Dieu pour qu'il donne la victoire à l'Angleterre et aux chrétiens, et que leurs époux reviennent en bonne santé, dit Simon.
C'est alors que l'enfant posa une question déroutante pour le lord et qui fit se retourner Pibia sur son siège.
– Pourquoi vous, vous n'avez pas de femme ?
– Elle est morte jeune, mon enfant, dit lord Simon, éludant la question.
– On n'en parle jamais chez nous, et j'aimerais bien voir son portrait. Pour voir si maman lui ressemble, dit Pacal, justifiant sa demande.
– Je te montrerai son portrait, bien sûr. Mais ta maman ne lui ressemble pas beaucoup, murmura le lord, gêné.
Il s'empressa d'ordonner à Pibia d'arrêter la voiture à l'ombre d'un bouquet de pins.
– Nous allons maintenant déjeuner. Je crois qu'il y a dans nos paniers un jambon et des toasts, et aussi une belle tarte à la goyave que ma cuisinière a faite pour toi, cher gourmand.
Après le lunch , ils se remirent en route et rendirent une visite de courtoisie au père Taval. Manuela servit un vin frais au lord et au prêtre – « la dernière bouteille, sans doute », plaisanta Cornfield qui connaissait les tics de l'ermite – et, à Pacal, un sirop de grenade.
Dans la voiture, quand, au milieu de l'après-midi, aïeul et petit-fils redescendirent vers Valmy, Pacal, un moment silencieux, se tourna soudain vers lord Simon.
– M. Taval, lui, il a une femme et des enfants, remarqua-t-il d'un ton assuré.
– Manuela n'est pas l'épouse du père Taval, Pacal. C'est sa gouvernante, crut nécessaire de rectifier lord Simon, voyant tressauter le dos de Pibia d'un rire mal contenu.
– Quand elle a parlé espagnol à sa petite fille, elle lui a dit : « Va porter le chapeau à ton père. Il est au soleil. » Et la petite fille, elle a apporté le chapeau à M. Taval.
– Tu auras mal entendu l'espagnol,
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