Retour à Soledad
Mark Tilloy, si brutalement éconduit autrefois par Jeffrey et Ann, en présence de son ancienne fiancée ne peut pas déplaire à ce garçon et l'inciter à nous quitter. Je voudrais, Charles, et vous, Ounca Lou, que vous sondiez le capitaine. Ce qu'il m'est difficile et peut-être indiscret de faire moi-même, expliqua lord Simon.
Charles accepta la mission, et le lendemain, au Loyalists Club, il convia comme souvent Tilloy, le célibataire, à dîner à Valmy. Informé du sauvetage d'Ann, Mark se réjouit sincèrement et assura les Desteyrac qu'il ferait de son mieux pour rendre le séjour à Soledad agréable à l'infirme.
– Dites bien à Cornfield que je n'ai aucune amertume à l'égard de cette malheureuse fille. Notre union n'eût pas été heureuse et, depuis que j'ai retrouvé ici, grâce à lord Simon, un commandement, je suis le plus heureux des marins. De plus, je crois bien n'être pas fait pour le mariage. Comme les papillons, je préfère butiner, ajouta-t-il en riant.
Lord Simon, rassuré, écrivit à Jeffrey le plaisir qu'il aurait à recevoir Ann à Soledad où le docteur Weston Clarke prendrait soin de sa fille. Elle ne trouverait que des amis prêts à lui tenir compagnie et à la distraire. Il enverrait un de ses navires pour la porter sur l'île, dès que la date de son arrivée aux Bahamas serait connue.
On sut bientôt que l'infirme serait accompagnée par une nurse à bord d'un vapeur de la Cunard Line.
– Seul ennui, la nurse américaine ne veut pas venir jusqu'à Soledad. Sitôt Ann confiée à nos soins, elle reprendra le bateau pour New York. Nous devrons donc recruter une personne pour s'occuper d'elle dès son débarquement à New Providence, dit lord Simon à Ounca Lou, venue goûter avec Pacal à Cornfield Manor.
– Ottilia se propose d'aller au-devant de sa cousine avec Gertrude Lanterbach, révéla Ounca Lou.
– Bonne chose pour cette pauvre Ann !
– Quel bateau enverrez-vous à Nassau ?
– J'avais pensé à Colson avec le Phoenix , mais Lewis m'a dit que Mark Tilloy serait fortement déçu si je ne l'envoyais pas chercher lui-même son ex-fiancée avec le vapeur. Elle pourrait le croire rancunier. Ce sera donc l' Arawak , commandé par le capitaine Tilloy, dit lord Simon.
Trois jours plus tard, l' Arawak , ayant à son bord lady Ottilia et l'Alsacienne, appareilla pour Nassau sous une grosse pluie tropicale.
– Mark navigue maintenant vers son passé, confia Charles à Edward Carver, venu avec l'ingénieur assister au départ du vapeur blanc.
– C'est une croisière que le destin impose à tous, mon ami, un jour ou l'autre. Certains n'en reviennent pas, souffla le major, aussi sombre que le ciel.
1 Voiture à quatre places tournées vers l'avant, abritée d'un dais à franges.
DEUXIÈME ÉPOQUE
Fortunes de guerre
1.
Un soir de novembre 1861, à l'heure du porto d'après dîner, dans le fumoir de Cornfield Manor, lord Simon proposa soudain à ses commensaux habituels – Murray, Desteyrac et le major Carver – « une escapade à Nassau ».
– Si nous allions voir à quoi ressemble ce fameux Royal Victoria Hotel, qui a coûté cent trente mille dollars ? Malcolm et moi avons mis quelques centaines de livres 1 dans sa construction et, comme le gouvernement bahamien s'est fort endetté dans cette affaire, j'aimerais me faire une opinion sur les profits à en attendre.
Sitôt formulée l'approbation de ses amis, Simon Cornfield, qui n'était pas homme à différer un projet, demanda à Edward Carver d'organiser le voyage et d'informer la direction de l'hôtel de l'arrivée, début décembre, du lord des Bahamas et de sa suite. Ottilia et Ounca Lou accompagneraient leurs maris, car le séjour promettait une agréable diversion à la monotonie de la vie insulaire.
La croisière s'effectuerait à bord du vieux Phoenix , le vapeur Arawak ayant dû être envoyé à New York pour transporter jusqu'à Soledad, Ann, la fille infirme de Jeffrey Cornfield. La nurse timorée qui devait accompagner la jeune femme jusqu'à New Providence à bord d'un paquebot de la Cunard Line ayant, au dernier moment, refusé d'embarquer, lord Simon avait ordonné à Mark Tilloy, qui attendait à Nassau, d'aller avec l' Arawak chercher à New York son ex-fiancée. Les tempêtes d'automne s'étaient jusque-là conjuguées pour retarder le retour. « Comme je connais Mark, il ne sera pas
Weitere Kostenlose Bücher