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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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« Les hommes, Viola, confondent trop souvent le désir et l'amour. Le premier satisfait, ils oublient le second », prévenait-elle.
     

    Au cours des semaines suivantes, partout sur Soledad apparurent mille signes d'une précoce offensive du printemps. Plus prompte et plus exubérante sous les tropiques qu'en Europe, elle ne cessait d'année en année de ravir Charles Desteyrac.
     
    Levé à l'aube, alors que sa femme et son fils dormaient encore dans la maison silencieuse, il sellait souvent son cheval et trottait vers le sud de l'île. De jour en jour, il vit enfler les cônes verts des bourgeons et sortir des mangroves les insectes nouveau-nés qui, dans un froissement d'élytres, se précipitaient sur les azalées et les hibiscus, impatients de butiner les broméliacées plus tardives. L'ingénieur, certain de n'être pas importun, rendait visite à Maoti-Mata au village des Arawak. Le cacique des Taino accueillait toujours avec chaleur son visiteur, offrait un lait de coco, des biscuits au gingembre, et l'invitait à guetter avec lui l'apparition du soleil. Le vieil homme savait que Charles espérait sans le dire, comme un Indien, le message annuel de Hunabku, la déesse des fleurs, sœur de Flore.
     
    Maoti-Mata et les Arawak voyaient dans l'immaculée et brutale floraison nocturne du cactus reine-de-la-nuit, haut chandelier aux dards acérés, la confirmation que la déesse accordait aux hommes, aux bêtes et aux plantes une nouvelle année de vie. Au plein jour il ne restait rien de l'odorante toison d'une blancheur liliale. Des milliers de phalènes sphinx l'avaient dévorée, ne laissant qu'un squelette vert, raidi dans sa nudité épineuse. La reine-de-la-nuit devrait attendre un an avant d'endosser à nouveau sa très éphémère parure.
     
    Depuis sa jeunesse, Maoti-Mata notait avec soin la date de la floraison et, chassant les phalènes, s'empressait de cueillir quelques fleurs qu'il déposait dans une calebasse après avoir brûlé, avec maintes invocations, les fleurs sèches de l'année précédente. Parce que Charles était son ami, il lui offrait chaque année, dans un coquillage, quelques pétales enlevés au cactus, afin que la déesse Hunabku veillât sur son foyer.
     

    Juché sur le seul matériel roulant du chantier – une draisine mue à la main, au moyen d'un guidon-pompe à vilebrequin, par le robuste Sima –, Charles parcourait souvent, entre le port occidental et Southern Creek, la voie ferrée, achevée mais inutile. Il lui arrivait d'apercevoir lord Simon qui arpentait le ballast, l'air songeur, pendant que son cheval suivait en broutant l'herbe fraîchement sortie de terre entre les traverses.
     
    Interrompant sa marche pour se planter entre les rails, jambes écartées, mains au dos, haut et massif, tel un dolmen de chair et d'os, Cornfield considérait la rectitude de la voie, se retournant parfois pour jouir de la discontinuité des barres d'acier qui couraient sur le socle de pierres concassées. Charles le vit un matin se baisser pour arracher d'un geste rageur les plantes rampantes qui menaçaient de couvrir la voie.
     
    Surpris par Charles au cours d'une de ses inspections, lord Simon lui confia ses regrets.
     
    – Si nous avions reçu au moins ma voiture et des wagons, nous aurions remplacé la locomotive par un attelage à quatre ou six chevaux, comme cela se faisait en 1804, sur dix miles, entre Wandsworth et Croydon. Car le chemin de fer n'est pas né avec la locomotive, dit-il.
     
    – Si seulement nous avions des roues, je me ferais fort de vous construire ici une voiture avec une de vos vieilles calèches, assura Charles.
     
    – J'aurais l'air d'un roi fainéant ! Non, mon ami, pas d'expédients ; attendons des jours meilleurs.
     
    Lord Simon se résignait plus aisément depuis que les nouvelles des États-Unis éveillaient de vraies craintes de guerre civile. Un accord pacifique proposé aux autorités de Washington par un membre du Sénat du Kentucky, John J. Crittenden, demandant que le compromis du Missouri, qui admettait l'esclavage dans les États situés sous 36 degrés 30 minutes, fût reconnu valable pour tous les territoires acquis à l'avenir, avait été rejeté par la majorité républicaine du Congrès. Consulté par William Seward, son future secrétaire d'État, Abraham Lincoln, président élu, mais dont le mandat ne serait inauguré que le 4 mars, s'était formellement opposé à cet accord en disant des Sudistes :

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