Révolution française Tome 1
d’Europe ?
Quand, à Paris, on dénombre au moins six cent mille
habitants.
Qu’il faut se soucier de ces philosophes, qui règnent sur
les esprits, qui ont diffusé à plusieurs milliers d’exemplaires, les dix-sept
volumes de leur Encyclopédie .
Et Louis se défie de ces hommes « éclairés » de
cet esprit des Lumières, de ce Voltaire qui, habile, retors, sait à la fois louer
le roi sacré à Reims, et conduire la guerre contre l’Église. Voilà un homme qui
avance caché, qui publie des libelles violents sous des noms d’emprunt, mais
qui n’a qu’un but : « Écraser l’infâme », cette religion
apostolique et romaine qui est le socle même de la monarchie.
Or Louis se veut être le Roi Très Chrétien de la fille aînée
de l’Église.
Elle compte près de cent trente mille clercs et moniales, dont
cent quarante-trois évêques. Ces derniers font tous partie de cette noblesse, forte
de trois cent cinquante mille personnes, dont quatre mille vivent à la Cour.
Privilégiés, certes, mais Louis sait que nombreux sont ceux
qui, tout en étant fidèles à la monarchie, jalousent le roi. À commencer par ce
Louis-Philippe d’Orléans, son cousin, grand maître de la Maçonnerie, cette
secte condamnée par l’Église mais tolérée, alors qu’en 1764 – victoire du parti
philosophique – les Jésuites ont été expulsés du royaume.
Et il y a ces « frondeurs » de parlementaires, exilés
par Louis XV et le chancelier Maupeou, mais qui harcèlent Louis, pour obtenir l’annulation
de la réforme, leur retour à Paris, avec tous leurs privilèges.
Et puis, le « peuple », ces millions de sujets, le
« tiers état ». La crête en est constituée par deux à trois millions
de « bourgeois », négociants, médecins, chirurgiens, avocats, lettrés,
se retrouvant souvent dans des sociétés de pensée, loges maçonniques, où ils
côtoient certains nobles, tous pénétrés par l’esprit des Lumières, lecteurs de
Montesquieu, de Rousseau et d’abord de Voltaire. Au-dessous d’eux, la masse
paysanne représente plus de vingt millions de sujets, dont un million et demi
sont encore serfs, et les autres, petits propriétaires ou fermiers et métayers,
sont écrasés d’impôts, royaux, seigneuriaux, féodaux, et doivent même la dîme à
l’Eglise !
Voilà donc ce royaume que Louis doit gouverner.
Il sait que l’on s’interroge en ces premières semaines de
règne sur ses capacités.
« Louis XVI aura-t-il ou n’aura-t-il pas le talent des
choix et celui d’être la décision ? » se demande un abbé de cour, Véri.
C’est anodin mais Louis découvre dans la copie d’une lettre
de l’ambassadeur d’Autriche Mercy-Argenteau à l’impératrice Marie-Thérèse que
le diplomate le trouve « bien peu aimable. Son extérieur est rude. Les affaires
pourraient même lui donner des moments d’humeur. » Et l’Autrichien se demande
si ce roi « impénétrable aux yeux les plus attentifs » doit cette « façon
d’être » à une « grande dissimulation » ou à une « grande
timidité ».
L’ambassadeur rapporte une exclamation de Marie-Antoinette :
« Que voulez-vous qu’on puisse faire auprès d’un homme des bois ? »
Comment, quand on apprend cela, ne pas se renfermer, refuser
de donner sa confiance, tenir son jeu secret ? Hésiter à choisir, sachant
qu’on est à tout instant guetté ?
Faut-il revenir sur la réforme Maupeou ?
Nommer au contrôle général des Finances cet Anne Robert
Turgot, intendant du Limousin, qu’on dit « physiocrate », économiste
donc, adepte du laissez faire, laissez passer, voulant briser les corporations
de métier, décréter la libre circulation des grains, imaginant que ces libertés
favoriseront le commerce, permettront de réduire voire d’effacer ce déficit, cette tumeur maligne de la monarchie, ce mot que Louis entend plusieurs
fois par jour associé à ceux de banqueroute, d’économies, d’impôts, de
réformes, de privilèges.
Louis se sent harcelé. Son mentor, ce vieil homme de
Maurepas, le somme de se décider à nommer Turgot, de répondre à de nombreuses
autres questions pressantes à propos de la réforme Maupeou, de la politique
étrangère.
Faut-il préparer, entreprendre une guerre contre l’Angleterre,
la grande bénéficiaire du traité de Paris, et profiter des difficultés que
Londres rencontre dans ses colonies d’Amérique ?
Et cela suppose de donner
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