Révolution française Tome 1
objet. »
Il a l’impression qu’il agit avec habileté, nommant Turgot
et soutenant ses mesures sur la libre circulation des grains, le contrôle des
fermiers généraux, la suppression des corporations, tout en rétablissant les
parlements, et en étendant même les privilèges puisque désormais dans l’armée, nul
ne pourra devenir officier s’il ne possède quatre quartiers de noblesse !
D’un côté, avec Turgot, il donne l’apparence qu’une nouvelle
ère commence – et Voltaire et le parti philosophique le louent –, de l’autre, il
conforte les privilégiés sans les satisfaire : dès le 30 décembre 1774, le
duc d’Orléans et les parlementaires ont rédigé des remontrances hostiles au
pouvoir royal.
Quant aux roturiers ambitieux, qui rêvaient de carrières
militaires, ils n’ont plus d’avenir : les grades d’officiers leur sont
interdits. Place donc à la colère et au ressentiment !
Plus grave encore, les mesures de Turgot sur le libre
commerce des grains interviennent alors que la récolte est mauvaise, entraînant
la hausse des prix du blé et du pain.
Et commence la « guerre des Farines ».
Des émeutes éclatent sur les marchés de plusieurs villes de
la Brie.
Elles gagnent la Champagne, la Bourgogne et la Normandie, Dijon
et Rouen. On s’en prend pour la première fois au roi.
« Quel foutu règne ! » lance-t-on sur les
marchés de Paris.
La capitale est si peuplée qu’elle est toujours un chaudron
de révolte, parce que la misère s’y entasse et la colère y prend vite feu.
À la Cour, on critique le roi lui-même, toujours hésitant, paraissant
souvent absent, indifférent, distrait même : « Il ne se refuse encore
à rien, constate Maurepas, mais il ne vient au-devant de rien et ne suit la
trace d’une affaire qu’autant qu’on la lui rappelle. »
On attaque Turgot, qui continue d’affirmer qu’on peut
combattre la disette par la cherté des grains, et qui maintient toutes ses
mesures malgré les émeutes qui se multiplient, la guerre des Farines qui s’étend.
Ses proches sont persuadés qu’une « infernale cabale
existe contre lui… la prêtraille, la finance, tout ce qui lui tient, les
prêcheurs en eau trouble sont réunis ».
Coup de grâce : le banquier genevois Necker critique
les mesures « libérales » prônées par les économistes, les
physiocrates, et précisément la liberté du commerce des grains imposée par
Turgot. Il faut, dit-il, protéger les plus humbles, et si besoin est, limiter
le droit de propriété.
Et il faut surtout agir en tenant compte des circonstances :
« Permettez, défendez, modifiez l’exportation de nos grains selon l’abondance
de l’année, selon la situation de la politique… »
Et il invoque le souvenir de Colbert, le rôle de l’État
protecteur.
On lit Necker.
Le parti philosophique se divise entre ses partisans et ceux
restés fidèles à Turgot.
Necker apparaît à beaucoup comme l’homme qui peut remplacer
Turgot et proposer une autre politique.
Et ce au moment où les émeutiers, après avoir pillé des
convois de blé, dévastent Versailles, imposent leur prix du pain et de la
farine aux boulangers, saccagent, volent. On assure que certains sont entrés
dans la cour du palais et que leurs cris ont empêché le roi, qui tentait de
prendre la parole, de se faire entendre.
Le roi aurait été contraint de regagner ses appartements, en
ordonnant qu’on vendît le pain à deux sols la livre.
C’est la rumeur qui se répand – et elle mesure le
retentissement de la guerre des Farines – alors qu’en réalité le roi a fait
face, mobilisant les troupes, ne cédant pas à la panique qui s’est emparée de
beaucoup de courtisans et de la reine.
Le lendemain, alors que les émeutiers ont quitté Versailles,
il écrit à Turgot :
« Je ne sors pas aujourd’hui, non par peur, mais pour
laisser tranquilliser tout. »
Et lorsqu’il rencontrera le contrôleur général des Finances,
il ajoutera :
« Nous avons pour nous notre bonne conscience et avec
cela, on est bien fort. »
Mais le mercredi 3 mai 1775, des émeutiers attaquent les
boulangeries et les marchés parisiens.
Ces bandes, armées de piques, sont entrées dans Paris en
même temps que les paysans qui viennent vendre leurs légumes dans la capitale.
La population parisienne reste spectatrice, s’étonnant de la
passivité des gardes françaises et du guet qui libère ceux des
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