Révolution française Tome 1
encore plus de poids à l’alliance
avec l’Autriche, et c’est naturellement ce que veut Marie-Antoinette, guidée
par l’ambassadeur Mercy-Argenteau.
Mais où est l’intérêt du royaume ?
Louis hésite.
« Que voulez-vous, dit-il à Maurepas, je suis accablé d’affaires
et je n’ai que vingt ans. Tout cela me trouble. »
« Ce n’est que par la décision que ce trouble cessera, répond
Maurepas. Les délais accumulent les affaires et les gâtent même, sans les
terminer. Le jour même que vous en aurez décidé une, il en naîtra une autre. C’est
un moulin perpétuel qui sera votre partage jusqu’à votre dernier soupir. »
La seule manière d’échapper à cette meule des affaires qu’il
faut trancher et qui tourne sans fin, et ne cessera qu’avec la mort, c’est de s’enfuir,
de chevaucher dans les bois, de traquer le cerf et le sanglier, de se rendre
jusqu’à Versailles ou à Marly. Louis rêve du jour où, enfin, il pourra s’installer
à Versailles.
Il envisage déjà d’aménager des appartements privés, avec
une salle de géographie, où il rassemblerait ses cartes et ses plans, un étage
serait consacré à la menuiserie. Au-dessus se trouverait la bibliothèque, et
enfin, au dernier étage, il placerait la forge, des enclumes et des outils pour
travailler le fer.
Un belvédère lui permettrait de pénétrer, grâce au télescope,
tous les secrets des bosquets de Versailles et des bâtiments du château.
Il gardera ces lieux fermés, car il a déjà surpris les
commentaires ironiques ou méprisants, avec lesquels on juge ses goûts d’artisan,
de forgeron, de serrurier, de menuisier.
Un roi, un gentilhomme jouent aux cartes, ou au trictrac, ils
apprécient les courses, ils chassent, mais ils ne se livrent pas aux activités
d’un roturier, d’un compagnon de métier !
Cela n’est pas digne d’un roi.
Mais ce sera un moyen pour lui de se retirer, d’échapper aux
regards, aux harcèlements, aux décisions.
C’est si simple quand on n’agit que pour soi !
Ainsi, alors qu’on le met en garde, qu’on trouve l’initiative
téméraire, Louis accepte de se faire inoculer, à la demande de la reine et de
ses frères, la variole, et c’était encore une pratique jugée dangereuse, venue
de cette terre hérétique et philosophique d’Angleterre, si vantée par Voltaire
et le parti philosophique, afin d’être vacciné contre cette maladie qui avait
fait des hécatombes dans la famille royale.
Lorsqu’on apprend qu’on a passé des fils dans le gros bouton
purulent d’un enfant de trois ans, puis qu’on les a introduits dans les bras du
roi et de ses frères, on s’inquiète.
« À quoi bon risquer sur la même carte ces trois vies
si précieuses à la nation et quand nous n’avons pas encore d’héritier ? »
interroge-t-on.
On pense même que « c’est vouloir livrer la France aux
Orléans ».
Mais la vaccination, administrée aux trois frères installés
au château de Marly, est bien supportée.
On dit que Louis XVI, pendant les quinze jours d’isolement, a,
malgré les malaises et la fièvre, continué de travailler. Et Voltaire, qui
exprime l’opinion éclairée, déclare :
« L’Histoire n’omettra pas que le roi, le comte de
Provence et le comte d’Artois, tous trois dans une grande jeunesse, apprirent
aux Français en se faisant inoculer qu’il faut braver le danger pour éviter la
mort. La nation fut touchée et instruite. »
Louis accueille ces louanges avec un sentiment d’euphorie.
Il lit et relit ces vers que l’on publie, que l’on récite :
Poursuis, et sur nos cœurs exerce un doux
empire
La France a dans son sein vingt millions d’enfants
Quelle gloire pour toi si bientôt tu peux
dire
Je les rends tous heureux et je n’ai que
vingt ans.
Les gazettes, souvent réservées, chantent elles aussi ce
jeune souverain « occupé du soin du trône avec l’adorable princesse qui y
est arrivée avec lui ; tout ce qu’on apprend à chaque instant ajoute à l’amour
qu’on leur porte. S’il était possible au Français de ne pas porter jusqu’à l’idolâtrie
la tendresse qu’il a pour ses maîtres… ».
Mais Louis pressent qu’on veut faire de lui le « souverain
des Lumières », Louis le Juste.
On l’invite pour des raisons d’économie à se faire sacrer
non à Reims mais à Paris. Et l’on pourrait aussi, à l’occasion de cette rupture
avec la tradition, changer le serment
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