Révolution française Tome 1
émeutiers que l’on
a arrêtés.
Quand le calme est rétabli à Paris, la guerre des Farines
reprend dans la Beauce et en Brie, en Bourgogne et en Normandie.
La répression cette fois-ci est sévère.
On arrête. On pend, en place de Grève, deux jeunes hommes, l’un
de vingt-huit ans, l’autre de seize, qui sont accusés d’avoir dévalisé des
boulangeries. Ils crient qu’ils meurent pour le peuple.
C’est Turgot qu’on accuse de « dureté », d’être le
responsable d’une injustice. On dit que le roi a demandé qu’on épargne « les
gens qui n’ont été qu’entraînés ».
Mais le souverain est atteint.
L’espérance avait accompagné les premiers mois du règne et
les débuts de Turgot.
On chantait alors le De Profundis des gens d’affaires,
des financiers, des fermiers généraux, collecteurs d’impôts et prêteurs au roi.
Grâce au bon roi qui règne en France
Nous allons voir la poule au pot
Cette poule c’est la finance
Que plumera le bon Turgot.
Pour cuire cette chair maudite
Il faut la Grève pour marmite
Et Maupeou pour fagot.
Le mirage et l’espoir se sont dissipés.
Restent la déception, et, ici et là, la colère, et partout
la misère et la disette.
Et ce sentiment insupportable d’impuissance face aux
inégalités criantes, aux privilèges provocants.
Et le roi ne peut rien, et peut-être ne veut
rien.
On ne fait plus confiance à Turgot :
Est-ce Maupeou tant abhorré
Qui nous rend le blé cher en France
Est-ce le clergé, la finance ?
Des Jésuites est-ce la vengeance ?
Ou de l’Anglais un tour falot ?
Non, ce n’est point là le fin mot
Mais voulez-vous qu’en confidence
Je vous le dise… c’est Turgot.
Et le roi reçoit des menaces.
Pourtant cette situation paraît favorable aux privilégiés, en
dressant contre le pouvoir royal réformateur le peuple.
C’est jouer avec le feu, prévoit le marquis de Mirabeau, dont
la vie chaotique, mêlant débauche, duels et écrits politiques, a aiguisé la
lucidité.
« Rien ne m’étonne, note-t-il, si ce n’est l’atrocité
ou la sottise de ceux qui osent apprendre à la populace le prix de sa force. Je
ne sais où l’on prend l’opinion qu’on arrêtera la fermentation des têtes. »
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Louis connaît l’opinion du marquis de Mirabeau.
Il a vu les émeutiers piller et saccager les boulangeries de
Versailles. Il a entendu leurs cris remplir la cour du château. Et cependant, maintenant
que la guerre des Farines s’achève, que l’ordre est rétabli partout, il a le
sentiment qu’il a été capable de maîtriser les troubles.
Il a seul, alors que Turgot était à Paris, fait face à l’émeute, mobilisé les troupes autour
du château de Versailles.
Il a été vraiment roi.
Il se persuade que rien ne pourra mettre en danger cette
monarchie millénaire dont il est l’incarnation.
Il se sent bien à Versailles. C’est sa demeure. Il éprouve
toujours le même plaisir à chasser, à travailler sur son tour à bois, ou à forger.
Et, nouveau divertissement, il accompagne Marie-Antoinette
au bal. Il l’ouvre même vêtu en Henri IV, le souverain auquel souvent on le
compare. Et il aime cette référence.
Seul agacement, seule inquiétude, en ces jours tranquilles d’après
la guerre des Farines, le comportement de la reine. Elle s’attarde, entourée de
jeunes nobles, jusqu’à plus de trois heures du matin, à l’Opéra, où elle danse
le quadrille, avec ces « têtes légères », le comte d’Artois, ou le
duc de Lauzun, ou Guines l’ambassadeur de France à Londres, dont on dit qu’il est
une créature du duc de Choiseul, le vieux premier des ministres de Louis XV qui
rêve – avec l’appui de la reine – de gouverner à nouveau.
Et les ragots se répandent, accusant la reine de frivolité, même
d’infidélité et de goût de l’intrigue.
C’est aussi cela qui accroît « la fermentation des
esprits ». Pour l’étouffer, il faut réaffirmer le caractère sacré du roi, le
lien personnel qu’il entretient avec Dieu, et que le sacre à Reims manifeste.
Telle est la certitude, la croyance de Louis XVI.
Et c’est pourquoi il refuse de se faire sacrer à Paris, comme
le demandent les « esprits éclairés » qui invoquent les économies qui
seraient ainsi réalisées.
De même, il ne peut renoncer au serment d’exterminer les
hérétiques que le roi doit prononcer.
Il rejette la formule que lui a proposée Turgot, et
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