Révolution française Tome 1
qui ne
serait que la manifestation du ralliement du roi à l’esprit de tolérance.
Turgot voudrait que le roi proclame : « Toutes les
Églises de mon royaume peuvent compter sur ma protection et sur ma justice. »
« Je pense qu’il y a moins d’inconvénient à ne rien
changer », dit Louis à Turgot.
Louis croit, comme l’abbé de Beauvais l’a prêché devant la
Cour, lors du carême, que « depuis que les principes sacrés de la foi ont
été ébranlés, c’est l’ébranlement général de tous les autres principes ».
Et c’est la secte philosophique, la secte maçonnique, et
toutes les sociétés de pensée, et les volumes de l’ Encyclopédie et les
œuvres de Voltaire, qui sont responsables de cette mise en cause des principes
sacrés de la foi.
Et Louis ne cédera pas, même s’il doit biaiser, manœuvrer, face
à l’esprit des Lumières tout-puissant dans les salons et les gazettes.
Il peut utiliser un Turgot, voire demain un Necker, mais il
ne recevra pas à la Cour le vieux Voltaire, qui rêve, avant de mourir, de
rentrer à Paris et d’être présenté au roi.
Et que Voltaire écrive : « Je ne m’étonne point
que des fripons, engraissés de notre sang, se déclarent contre Turgot qui veut
le conserver dans nos veines », ne sert guère, aux yeux du roi, le contrôleur
général des Finances. Au contraire, il le rend suspect.
Mais le temps pour Louis n’est pas à trancher le sort de
Turgot, mais à montrer au peuple que le roi de France l’est de droit divin.
Et c’est à Reims, là où Clovis fut baptisé, que la cérémonie
du sacre va avoir lieu, le 11 juin 1775.
Louis sait qu’il n’oubliera jamais ces jours de juin 1775, ce
voyage jusqu’à Reims, les paysans rassemblés sur le bord des routes, les
acclamations, les cris de « Vive le roi ! Vive la reine ! »
la population de Reims tout entière venue devant la cathédrale, les
illuminations et enfin la cérémonie dans la nef, les serments qu’il faut
prononcer, les évêques qui entourent le roi, la bénédiction des couronne, épée
et sceptre de Charlemagne, puis de ceux de Louis XVI. Le roi se prosterne, s’étend
sur un carreau de velours violet, s’agenouille, reçoit l’onction sur le front, avec
le chrême de la Sainte Ampoule.
Les cinq autres onctions sur le corps lui attribuent les ordres
de l’Église.
Louis n’est pas seulement roi dans l’ordre du politique, mais
roi dans l’ordre du religieux. Et il a pouvoir de faire des miracles.
Roi thaumaturge, il se rendra à l’abbaye de Saint-Remi, touchera
les écrouelles de quatre cents malades, aux corps pantelants et puants.
Le visage de Louis exprime le ravissement.
Le rituel du sacre a transformé le jeune roi et l’a
transporté au-delà de l’Histoire.
Il est l’homme choisi par Dieu pour régner.
Et lorsqu’il regarde autour de lui, il découvre l’émotion de
la reine, des courtisans.
Personne ne peut échapper à ce moment, que closent le lâcher
et l’envol de plusieurs centaines d’oiseaux.
Les acclamations submergent le roi et la reine lorsqu’ils
apparaissent sur le parvis de la cathédrale.
« Il est bien juste que je travaille à rendre heureux
un peuple qui contribue à mon bonheur », écrit Louis XVI à Maurepas qui n’a
pas assisté à la cérémonie.
« J’ai été fâché que vous n’ayez pas pu partager avec
moi la satisfaction que j’ai éprouvée ici », conclut Louis.
Il a refoulé au fond de lui les inquiétudes, la crainte que
ne se développe cette « fermentation » des esprits que notait le
marquis de Mirabeau.
Et il oublie pour quelques jours les « affaires »
qu’il faut trancher. Il veut répondre aux attentes du peuple, faire son bonheur.
« La besogne est forte, mais avec du courage et vos
avis, dit-il à Maurepas, je compte en venir à bout. »
La jeune reine – vingt ans ! – partage cette émotion et
ces bonnes résolutions.
« C’est une chose étonnante et bien heureuse en même
temps, écrit-elle à l’impératrice Marie-Thérèse, d’être si bien reçus deux mois
après la révolte et malgré la cherté du pain… Il est bien sûr qu’en voyant des
gens qui dans le malheur nous traitent aussi bien, nous sommes encore plus
obligés de travailler à leur bonheur.
« Le Roi m’a paru pénétré de cette vérité.
« Pour moi je suis bien sûre que je n’oublierai jamais
de ma vie la journée du sacre. »
On quitte Reims
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