Révolution française Tome 1
un régime particulier exige que l’électeur possède
soit un office ou une maîtrise, soit un grade universitaire, ou paie un impôt
de capitation de six livres, ce qui limitera le nombre d’électeurs à cinquante
mille sur six cent mille habitants.
On se défie de la capitale.
On a vu entrer, venant de toute l’Île-de-France, « un
nombre effrayant d’hommes mal vêtus, et d’une figure sinistre », paysans
affamés, chassés par la disette, vagabonds déguenillés, armés de grands bâtons.
Ils côtoient les dizaines de milliers d’ouvriers, sans
emploi, jetés à la rue par la fermeture des ateliers.
Le pain est si cher qu’il dévore tout l’argent d’une famille,
qui ne peut plus acheter autre chose, ni chaussures, ni vêtements, ni meubles. Et
les échoppes, les ateliers périclitent.
On compte cent vingt mille indigents à Paris.
Et cette situation fait craindre des violences.
Et la disette, qui fait de Paris, en ce début d’année 1789, une
ville affamée, frappe tout le pays.
L’hiver 1789, après une année de sécheresse et des averses
soudaines de grêle, qui ont saccagé les récoltes, est d’une rigueur extrême :
18 degrés au-dessous de zéro au mois de janvier 1789. La Seine gèle à Paris et
au Havre.
Et on manque partout de grain.
Les foules se rassemblent devant les boulangeries.
« Chaque boutique est environnée d’une foule à qui l’on
distribue le pain avec la plus grande parcimonie. Ce pain est en général
noirâtre, terreux, amer, donne des inflammations de la gorge et cause des
douleurs d’entrailles », écrit un témoin.
Les autorités ne peuvent maîtriser la situation.
Les convois de grain sont attaqués par des bandes menées par
des femmes, qui sont en tête de toutes ces manifestations qui tournent au
pillage, au saccage des maisons des riches, des châteaux ou même des couvents
soupçonnés de receler du grain.
Necker avoue qu’il est terrorisé chaque nuit à l’idée – un
cauchemar – que Paris pourrait manquer de pain pendant vingt-quatre heures. Et
il imagine ce qui peut se produire, alors même que les troupes chargées de
maintenir l’ordre sont elles-mêmes mal nourries.
Le pain manque aussi aux soldats, et il est aussi terreux
que celui vendu si cher dans les boulangeries.
Necker ne cache pas au roi, au vu des dépêches qu’il reçoit
des intendants et des subdélégués qui les assistent, « qu’il n’y a plus d’obéissance
nulle part, et qu’on n’est pas même sûr des troupes ».
Les villageois forcent, ici et là, les laboureurs et les
fermiers qui ont apporté des grains au marché à les vendre à bas prix.
Toutes les provinces du royaume sont touchées par cette
épidémie de révolte. La Bretagne, la Normandie, le Languedoc, la Provence.
« Je renouvelle à Monsieur Necker, écrit le commandant
militaire des provinces du centre, un tableau de l’affreuse situation de la
Touraine et de l’Orléanais. Chaque lettre que je reçois de ces deux provinces
est le détail de trois ou quatre émeutes à grand-peine contenues par les
troupes et la maréchaussée. »
Des villes créent des « milices bourgeoises » pour
tenter de protéger marchés, boutiques, demeures des représentants de l’autorité.
Personne n’échappe à cette colère accumulée, comme si la
révolte était devenue universelle, comme l’avait été durant des siècles la
résignation.
À Manosque, l’évêque qui visite le séminaire est accusé de
favoriser un accapareur.
On le lapide. On lui crie :
« Nous sommes pauvres, vous êtes riche, nous voulons
tout votre bien. »
Dans certaines localités, on installe une municipalité « insurrectionnelle »,
qui met à contribution tous les gens aisés.
C’est la faim, la disette, la peur de la famine qui sont la « poudre »
de ces explosions, mais l’étincelle est politique.
La convocation des États généraux, le doublement du nombre
des députés du tiers état, semblent ouvrir enfin devant les « infortunés »
une brèche, dans laquelle ils ont le sentiment que le roi les invite à s’engouffrer.
On pille, on saccage les boulangeries, les domiciles des « riches »,
des « gros », au cri de « Vive la Liberté ! Vive le Roi ! ».
Avec effroi, Louis prend conscience de cette situation, dont
la reine, le comte d’Artois, les aristocrates affirment qu’elle est provoquée
par cette concession faite aux revendications du tiers état, à ce droit de
Weitere Kostenlose Bücher