Révolution française Tome 1
même en période de chômage, la révolte déborde.
La foule se rassemble faubourg Saint-Antoine, faubourg
Saint-Marceau.
On brise, on pille, on incendie la maison d’Henriot, parce
que la maison de Reveillon est protégée.
Le mardi 28, les manifestants sont des milliers, menaçants, retenant
les carrosses, insultant leurs occupants, les contraignant à crier : « Vive
le tiers état ! » Le carrosse de Philippe d’Orléans est arrêté. Le
duc, acclamé, offre sa bourse, et lance :
« Allons mes amis du calme, de la paix, nous touchons
au bonheur. »
Mais la maison de Reveillon est envahie, saccagée par un
millier de pillards, qui détruisent et volent, sous les regards d’une foule de
cent mille personnes, qui gênent les mouvements des troupes, cavaliers du
Royal-Cravate, gardes françaises, gardes suisses, accueillis par des volées de
tuiles, de pavés.
Les incendiaires résistent, entraînent la foule dans leurs
affrontements avec les troupes, qui chargent, ouvrent le feu. On relève
plusieurs centaines de blessés, et l’on dénombre près de trois cents morts, certains
témoins évoquent neuf cents victimes. Et les rapports du lieutenant général de
police, vingt-cinq.
En cette fin du mois d’avril 1789, à la veille de l’ouverture
des États généraux, Paris est ensanglanté. Et le dauphin va mourir.
12
Louis voudrait oublier ce sang répandu au faubourg
Saint-Antoine, ces violences qui ne cessent pas dans les provinces, et, plus
que tout, le corps et le visage de son fils où la mort déjà a enfoncé ses
griffes.
Il le faudrait parce que ce samedi 2 mai 1789, au château de
Versailles, les députés se présentent, individuellement, en une interminable
file, au roi, debout entre ses deux frères.
Mais Louis ne peut rien oublier. Et même le souvenir de ce
mois de mai 1774, il y a presque jour pour jour quinze années, quand on lui
annonça la mort de Louis XV, et qu’il sentit ce poids écrasant du pouvoir qu’il
lui fallait supporter, et la panique qui l’avait saisi, ce sentiment d’abattement
et d’impuissance, lui reviennent, si présents, si forts, si douloureux.
Car on ne peut pas remonter le cours du temps. Ce qu’il a
fait ou subi, ce qu’il aurait dû faire et qu’il n’a pas eu l’audace d’entreprendre
ou de poursuivre, sont devenus les traces et les traits de son règne.
Et il doit faire face à ces cinq cent soixante-dix-huit
députés du tiers état, vêtus de noir, dont il devine l’impatience, la colère et
l’humiliation, car voilà « trois mortelles heures » qu’ils attendent,
massés derrière des barrières.
Et avant eux, s’avancent dans leurs costumes chamarrés, portant
grand chapeau, les députés de la noblesse, suivis par les évêques, les
cardinaux, et seuls les curés en noir rompent ce long défilé d’or et de soie, de
violet et de pourpre.
Le roi les regarde ces hommes noirs s’incliner devant lui, et
il ne cille pas.
Il se contente de lancer un « Bonjour bonhomme »
au « père » Gérard, un député du tiers qui a revêtu son costume de
paysan breton.
Il regagne épuisé ses appartements, et retrouve ses frères, la
reine, leur entourage, ces aristocrates qui, chaque jour désormais, l’invitent
à la fermeté.
Ils lui disent qu’il faut, le lundi 4 mai, jour de la grande
procession dans les rues de Versailles, de l’église Notre-Dame jusqu’à la
cathédrale Saint-Louis, puis le mardi 5 mai, salle des Menus-Plaisirs lorsqu’il
s’adressera, avant le garde des Sceaux Barentin et le ministre Necker, aux
députés rassemblés, affirmer l’autorité du roi.
Il invitera ces roturiers du tiers à respecter les ordres
privilégiés. Et la seule manière de ne pas laisser remettre en cause l’autorité
monarchique, c’est de refuser une délibération commune des trois ordres, ce qui
donnerait naissance à une Assemblée nationale et à une Constitution.
Et il faut aussi ne pas céder sur la question du vote par
tête.
Louis écoute. Il partage ces vues. Mais comment les imposer ?
Il se contente d’approuver d’un hochement de tête puis, en
compagnie de Marie-Antoinette, il se rend au chevet de son fils.
Et le lundi 4 mai, au milieu d’une foule de badauds qui a
envahi les rues de Versailles et occupe toutes les fenêtres, Louis dans son
grand costume du Saint-Esprit, et la reine parée de tous ses bijoux, les
membres de la famille royale, les princes du sang, se dirigent vers la
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