Richelieu ou la quête d'Europe
mettre en oeuvre la réforme fiscale induite par cette dernière décision, les trois ordres s’accordent simplement sur l’établissement d’une chambre de justice destinée à faire rendre gages aux financiers.
Dépossédé de toute initiative en matière civile, le clergé préfère alors axer ses travaux sur ses champs de compétence naturelle, la réforme catholique et la réception des décrets du concile de Trente comme loi du royaume. Il est décidé que les directives conciliaires ne seraient recevables comme matière législative qu’à condition que le pape confirme les libertés de l’Église gallicane. Le sujet s’avère aussi épineux que celui de la paulette : si la résolution du clergé est acceptée par la noblesse, elle est, en revanche, catégoriquement repoussée par le tiers, au nom du principe d’indépendance absolue du pouvoir temporel sur le pape. Qui plus est, le troisième ordre fait de la question religieuse le tout premier article de son cahier de doléances et procède à la lecture d’une proposition concurrente comme loi fondamentale du royaume : « Le roi […], ne tenant sa couronne de Dieu seul, il n’y a puissance, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur le royaume pour en priver les personnes sacrées des rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et de l’obéissance qu’ils leur doivent pour quelle cause ou prétexte que ce soit. » [16] Le tiers état, envisageant une potentielle justification du régicide par les décrets du concile de Trente , exprime le profond traumatisme causé par l’assassinat d’Henri IV et son attachement à la sacralité et à l’autorité de son souverain. Paradoxalement, c’est lui qui, en cet instant, pose les jalons de l’absolutisme.
Le clergé, quant à lui, ne raisonne pas en fonction de la France , mais en fonction de son appartenance à la chrétienté. Selon ce critère, l’article du tiers comporte un risque majeur de soustraction d’obédience, voire même de schisme. De surcroît, une autorité laïque ne saurait s’arroger le droit de juger la doctrine religieuse. Les intérêts du clergé, de la noblesse et du tiers sont décidément trop contradictoires en 1614, d’autant que le problème soulevé est celui de la nature même de l’État royal. Les ecclésiastiques, tout en réclamant le retrait de la proposition du dernier ordre, condamnent l’idée d’une légitimité à tuer un roi tyran. Qui peut se permettre d’apprécier l’attitude d’un monarque élu de Dieu ? Le sacre et la qualité de roi thaumaturge placent le souverain français au-dessus de la justice des hommes. D’où l’impossibilité philosophique et morale d’accepter les thèses espagnoles sur la question, et particulièrement celles de Mariana.
Le clergé français propose que les états généraux reprennent le décret particulier du concile de Trente qui pourrait justifier l’assassinat d’un souverain, le cardinal du Perron devant présenter le point de vue au tiers état. Or, au moment précis où celui-ci procède à la lecture du premier article prévu à son cahier de doléances, le parlement de Paris rend un arrêt en sa faveur. Si la proposition du troisième ordre ne peut pas devenir une loi fondamentale du royaume sans l’aval du clergé et de la noblesse, l’initiative des juges, en revanche, lui donne dès cet instant la valeur d’une loi ordinaire. Bien que le clergé dépose aussitôt plainte contre cet arrêt assimilé à un abus de pouvoir, soucieux de faire avancer le débat, il se résout finalement à inclure dans son propre cahier de doléances un décret du concile de Constance sur le tyrannicide, et à convaincre la noblesse, dans son ensemble, d’adopter la même motion.
C’est à nouveau Richelieu qui se voit confier la tâche de remporter l’adhésion de l’aristocratie. L’évêque de Luçon a l’habileté de déplacer le débat : il souligne qu’en ce qui concerne l’Église, la foi et la doctrine, seuls les ecclésiastiques sont habilités à statuer. La noblesse se rallie à son point de vue. Une députation commune au clergé et à la noblesse peut donc se rendre auprès du roi pour protester contre le premier article du tiers. Richelieu n’en fait pas partie ; l’attaque est menée par l’évêque d’ Angers . Et il s’agit bien d’une estocade : les propos tenus sont d’une telle vigueur que le premier ordre désavoue
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