Richelieu ou la quête d'Europe

Poupinel, soupçonné d’être un agent du fisc, est assassiné. Le gouverneur d’ Avranches , le marquis de Canisy, est impuissant face à l’émeute qui gronde. La révolte s’étend à toute la Basse- Normandie , gagne Pontorson , Saint-Aubin , Vire et Domfront . À l’automne, une armée de vingt mille hommes en sabots, encadrée par la noblesse et le clergé, s’initie au maniement des armes. Les revendications sont simples : la suppression des impôts, le retrait des agents du fisc et le rétablissement des anciennes franchises provinciales. La sédition gagne ensuite Rouen où la foule se soulève à son tour contre l’alourdissement des droits perçus sur les étoffes teintes. Le gouverneur de la province, le duc de Longueville, et celui de la ville de Rouen, le populaire comte de Guiche, sont tous deux absents. La seule autorité présente sur place est celle que représente l’archevêque François de Harlay. À cette époque, la bourgeoisie parlementaire se sent menacée par la création d’une cour des aides à Caen . Les procureurs de Rouen décident de ne plus rendre la justice, refusent de payer les taxes sur les offices et interrompent les procédures en cours. Puis les rentiers se plaignent à leur tour du receveur des gabelles, Letellier de Tourneville, qui ne leur verse plus leur dû, faute de pouvoir encaisser le produit de la gabelle.
    La foule n’hésite pas à massacrer le premier officier chargé d’appliquer l’édit royal sur les teintures. Du 20 au 23 août 1639, les maisons des traitants sont pillées, le bureau des impôts est mis à sac et la maison de Tourneville fait l’objet d’un siège en règle. Les bourgeois, craignant pour leurs biens, finissent cependant par s’interposer et rétablissent l’ordre public.
    Des troubles agitent aussi les villes de Caen et de Bayeux . Richelieu s’inquiète et tient les traitants et les administrateurs des finances pour responsables. En 1636, un déplacement en Picardie a permis au cardinal de prendre conscience non seulement de la grande misère dans laquelle se débat la population, mais également de l’iniquité qui préside au comportement des agents du fisc et à celui des Grands. Le calme revenu à Rouen , Caen et Bayeux , seule la région d’ Avranches reste sous le contrôle des va-nu-pieds. Le conseil du roi décide d’appliquer aux mutins un châtiment exemplaire. Le chancelier Séguier est désigné pour appliquer les mesures répressives et faire valoir l’autorité du monarque. Il se rend sur place en compagnie du colonel Gassion et de ses troupes. Les paysans révoltés sont rapidement dispersés. La ville d’Avranches est livrée au pillage des soldats. Le 2 janvier 1640, Pierre Séguier fait son entrée à Rouen comme dans une place conquise. Deux jours plus tard, le Parlement et la municipalité sont supprimés. La justice est confiée à une commission extraordinaire composée de conseillers au parlement de Paris . Une seconde commission voit le jour pour l’administration de la ville. Parallèlement, les impôts contestés sont rétablis et les troupes logées chez l’habitant. Rouen est même condamnée à verser plus d’un million de livres. Le chancelier supervise le désarmement de toute la Normandie , puis confie l’administration de Caen et de Bayeux à une instance extraordinaire. Richelieu découvre les effets pervers de l’administration des finances dont il s’est doté. Contraint par la guerre ouverte, il ne peut que déplorer les débordements des manieurs d’argent et l’imperméabilité des bailleurs de fonds à toute considération politique, économique ou sociale. Le cardinal-ministre n’a que trop consience de la complexité des questions financières et fiscales ; il sait aussi que Philippe IV et Olivarès observent les difficultés de la France en connaisseurs.
    La Catalogne, le Portugal et l’Empire
    Entre 1639 et la mi-1642, Richelieu et son homologue espagnol se livrent à une course de vitesse pour déstabiliser le régime de l’autre. Dans les grands affrontements qui secouent l’ Europe du xvii e  siècle, les belligérants exploitent sans remords l’aide indirecte que leur apportent les groupes sociaux, les provinces, ou les pays entiers, révoltés contre leur souverain. À l’époque où s’affirme l’absolutisme monarchique, le droit des gens rend légitime la collaboration des autochtones révoltés avec la puissance étrangère ennemie. L’ Espagne a