Ridicule
Mathilde monta sur le bac où les tulipes « perroquet » entrouvraient leurs pétales finement déchirés. Les deux pieds calés sur les rebords, elle se maintenait debout, jambes écartées, en équilibre précaire, et secoua précautionneusement le tissu de ses jupes pour disperser le pollen au-dessus des corolles, sans trop en perdre. Ponceludon, à genoux, accoudé au bac, contrôlait la répartition de la précieuse semence. L’opération fut renouvelée au-dessus de tous les bacs de tulipes, qui chacun accueillait une espèce différente. lot Numeratus Species Quot Ab Initio Creavit Infinitum Ens {7} . Mathilde ne pensait pas enfreindre le précepte du grand Linné, mais seulement aider la nature à distribuer son patrimoine spermique à des distances pour lesquelles l’insecte et le vent seuls ne suffisent pas. Sans le voyage de Pallas, auquel Mathilde apportait la dernière touche, ces grains de pollen poussés au hasard des vents n’auraient guère dépassé les contreforts des montagnes de l’Altaï. Jamais le pistil d’un « perroquet » n’aurait rencontré ce grain, et — qui sait ? — donné naissance à une nouvelle variété.
Une nouvelle variété de tulipes ! Mathilde en avait la chair de poule, quand elle imaginait pouvoir être l’auxiliaire de la nature dans ses desseins. Au dernier bac, la poussière était devenue assez rare pour que Ponceludon dût aider Mathilde, en époussetant délicatement de la main le velours. Puis, soufflant sur le bout de ses doigts poudrés de rouge, le jeune homme, penché sur les corolles, projeta sur elles un nuage fin de particules.
— Celles-ci n’ont pas eu de semence, dit-il, tout à son jeu de démiurge pollinisateur.
Comme il est courant après un accès de joie chez les sujets qui n’en sont pas coutumiers, Mathilde connut une éclipse, et son humeur s’assombrit tout à fait en quelques secondes. Un doute pointait, qu’elle rencontrait pour la première fois, mais qu’elle pressentait gros de catastrophes futures. Elle sut qu’il l’accompagnait secrètement depuis la seconde où elle avait pris sa décision. Mathilde regarda Ponceludon.
— Vous désapprouvez que je me livre à cet homme pour accomplir mon destin, n’est-ce pas ?
Grégoire n’avait nulle envie de gâcher l’instant.
Tout près de son visage, les jambes nues de Mathilde se perdaient à mi-cuisses dans les ombres du velours de la jupe, et elle lui avait donné pour tâche de caresser ce velours. Il domina son trouble, et parla pour ne pas s’étourdir.
— Comment s’appellera cette nouvelle variété ?
— Vous ne répondez pas. Vous me jugez ?
La conscience chavirée, le jeune homme ferma les yeux et effleura du bout des doigts les jambes de la jeune fille. Elle tressaillit à peine et se tut, ne rabattit pas sa jupe. L’effleurement se changea en caresse, qui déposa de longues traînées rouges sur sa peau blanche. Elle aussi avait fermé les yeux, le souffle coupé. Mais comme elle donnait en toute occasion la préséance à l’entendement sur les débordements, elle murmura d’une voix altérée par le trouble :
— C’est le feu vital qui parcourt vos nerfs, qui vous attache à moi... rien de plus.
Qu’elle prêchât le faux pour savoir le vrai, ou qu’elle fût sincère, elle n’obtint de Ponceludon que silence et prolongation du voluptueux attouchement.
Trois coups secs heurtèrent la verrière et leur firent ouvrir les yeux simultanément. Mathilde rabattit brusquement sa robe et se laissa tomber du bac de tulipes. Un visage blafard, aux contours légèrement brouillés par les irrégularités du verre, les observait du dehors. Trois autres coups retentirent, assez vifs pour ébranler la verrière.
— La promenade ! J’allais l’oublier !
Mathilde, rouge de confusion, battit ses jupes pour en nettoyer les dernières poussières de pollen. Ponceludon se releva avec calme, claqua ses paumes pour nettoyer le rouge dont il les avait enduites avec tant de passion, puis il salua M. de Montalieri. Il lui plaisait de penser que ce rouge qui teignait encore ses doigts zébrait de longues traînées les jambes de Mathilde, bien à l’abri des lourds pans de velours.
— Vous aussi êtes féru de botanique, monsieur ? siffla le chevalier en jouant avec sa canne comme s’il allait donner la bastonnade à quelqu’un.
— J’aidais seulement mademoiselle à épandre un peu de particules spermiques au-dessus des pistils,
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