Ridicule
dit Ponceludon d’un air modeste avant de prendre congé.
Au souper, Mathilde évita le regard de Ponceludon et ne prononça pas une parole. Le jeune homme, lui, parla plus qu’à l’accoutumée, et même avec excitation. Un silence lui eût paru une épreuve plus rude qu’un débat avec le marquis. Ce soir-là, Bellegarde avait mis les « convulsionnaires {8} » au menu de sa conversation, et Ponceludon, n’ayant pas d’avis arrêté sur les convulsionnaires, mais esclave d’un violent désir de parler fort, opta pour le parti opposé du marquis. Ce dernier défendant la thèse que la physiologie révélerait un jour les pouvoirs insoupçonnés du corps, il ne resta donc à Grégoire que deux opinions disponibles : le miracle, ou l’escroquerie. Il ne balança guère, et cria à l’escroquerie.
— Savez-vous bien la somme que ces tartufes ont dérobée aux crédules ? dit-il, s’échauffant la bile avec une facilité qui l’enchantait et rendait plus confortable la présence silencieuse de Mathilde. La découverte de leur caisse secrète en prouve l’ampleur, monsieur. Onze cent mille livres ! Leur procès l’a prouvé ! Onze cent mille livres !
Mathilde ne fut pas dupe de la fébrilité du jeune homme. Elle-même était en proie à des sentiments mêlés et contradictoires, dont la résultante était une honte confuse.
Bellegarde considérait la véhémence du jeune homme avec un étonnement inquiet.
— De grâce, quand vous êtes en société, surtout n’ayez jamais de convictions, dit-il. Les convictions entravent la bonne circulation des idées, et rendent le causeur maladroit. Il n’est pas rare qu’elles soient cause de bégaiements. Elles risquent par surcroît de vous attirer des pointes !
Il fouilla un instant sa mémoire, à la recherche d’un exemple :
— Rien n’est plus vrai que les globules du sang, et je crois avoir quelques lumières sur la question, reprit-il. Pourtant, je me suis rangé du côté des rieurs, quand M. de la Margerie a fait ce distique : « En vain on chercherait à globule Une rime qui ne soit ridicule. »
— J’ai quelques raisons, monsieur, d’être fière de mon père, intervint Mathilde qui prenait la parole pour la première fois du repas. Permettezmoi de ne pas y compter cette dérobade.
— Mathilde ! s’étonna Bellegarde. Pourquoi prends-tu de l’humeur, ma fille ?
Le marquis ne comprenait pas de quelle exaspération sa fille et Ponceludon étaient possédés. Si le cours lunaire féminin pouvait expliquer le cas de Mathilde, la diatribe de Ponceludon ne lui ressemblait guère.
La jeune femme se retira dans sa chambre le repas achevé, sans même boire le verre de vin de pruneau qui terminait chaque repas, et sur les vertus laxatives duquel le marquis ne tarissait pas d’éloges.
Après avoir été déshabillée par Charlotte, elle souffla sa bougie, mais ne parvint pas à s’endormir.
L’amour, comme l’appellent pompeusement les têtes romanesques, lui semblait plus que jamais n’être qu’un souvenir des sensations voluptueuses transportées par les nerfs sous forme de fluide subtil. Les nerfs possédant l’empreinte de cette sensation sont naturellement portés à en rechercher le renouvellement, et viennent à exciter l’organe des sentiments, comme la faim, qui est l’empreinte de l’estomac, excite le goût. Aurait-on seulement l’idée de dire qu’un chat caressant son flanc contre un pied de chaise est amoureux de la chaise ? Tout cela, elle le savait, et cette explication lui paraissait plus limpide que jamais. Seulement, à l’heure où elle se répétait ces évidences, elle était en proie à un vif goût pour Ponceludon. Sa voix, la douceur de ses gestes, avaient laissé en elle leur empreinte. Elle poussa un profond soupir et tenta de se remémorer les intéressantes conversations qu’elle avait eues avec M. de Montalieri pendant leur promenade. Pourtant, rien n’y fit. Ses nerfs en avaient gardé une empreinte bien moins profonde.
Ponceludon savait qu’il ne parviendrait pas à dormir, aussi demeura-t-il très tard dans la bibliothèque, flânant sans but parmi les volumes, possédé du vague espoir que Mathilde, ne trouvant pas le sommeil, descendrait. La seule idée de ce tête-à-tête nocturne électrisait le jeune homme. Feuilletant le volume Boutades malignes , il vit que le nom de Louis de Bellegarde figurait à l’index. Il se reporta à la page indiquée et lut : Le dix
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