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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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vôtre, dit Ponceludon au duc en montrant du doigt le connétable à cheval.
    Le duc secoua d’un grand rire toute l’acrimonie accumulée en lui par l’imposture de Guéret. Ce fut le signal d’une bruyante gaieté générale, et même ceux qui n’avaient pas entendu le mot s’y joignirent. Bellegarde adressa à la comtesse un regard où brillait la fierté. D’un signe de tête et d’un sourire, elle lui accorda le point. Oui, Bellegarde avait bien là un esprit fin digne de jouter avec son abbé.
    Le duc, encore larmoyant d’avoir ri, se tourna vers Guéret. Le malheureux baron était aux abois. Sa rougeur honteuse, sa bouche entrouverte qui palpitait sans pouvoir sortir un son, son oeil fixe de bête de sacrifice, tout cela excitait le veneur qui en appela au coup de grâce.
    — Répondez, monsieur ! La charge d’assesseur à l’Académie ne saurait échoir à un homme de peu d’esprit !
    Guéret se cabra encore, malgré les blessures du ridicule qui obscurcissaient son esprit, et déclara d’un ton aigrement déclamatoire :
    — Qu’elle ne m’échoissât point, voilà qui serait bien extravagant !
    — « M’échoissât » ? reprit la comtesse au vol. Il eût été plaisant, monsieur, que vous estropiassiez ainsi la langue, tout en veillant sur les débats de l’Académie !
    Le malheureux Guéret implorait du regard tous les visages tournés vers lui, et qui savouraient sa fin.
    — Rien de plus normal, madame : on confie le sérail à l’eunuque ! repartit l’abbé de Vilecourt.
    La table était soudain devenue une volière, bruissante de ramages hilares. Le duc adressa un coup d’oeil filial au portrait du connétable vengé. La comtesse couvait d’un regard tendre et carnassier son bel abbé, qui rayonnait d’importance sous les feux des prunelles admiratives. Il semblait à Bellegarde qu’avaient été ressuscités en quelques reparties les salons les plus brillants du règne précédent, et dont les feux s’étaient éteints avec leurs vestales.
    Quand reparut le tintement aigre du clavecin un instant submergé, le baron de Guéret était si pâle qu’on aurait pu croire qu’il s’était vidé de son sang. L’homme était soudain très calme, comme un failli avant la saisie. L’Académie, sa place en cour, ses maîtresses, sa devise, ses armoiries, tout disparaîtrait dans sa banqueroute. Mais il fallait faire face, rester à la table malgré les pertes. Plus personne n’osa plus le regarder, comme si sa honte pouvait agir par simple influence, ainsi que le disque électrisé d’une machine. Il ne toucha plus ses plats, n’ouvrit plus la bouche, subit, l’oeil vide, l’affreuse dilatation du temps de l’indignité publique. Impavide, il assista à la suite des joutes, rythmées par le clavecin allègre.
    L’expédition eut lieu tôt le matin afin d’éviter la foule des promeneurs. Mathilde longeait les massifs de tulipes à sa droite d’un pas régulier, serrant au plus près la bordure, regardant droit devant elle, attentive à ce que son parcours fût rectiligne. Ponceludon allait d’un pas tranquille, au coude à coude avec la jeune femme, qui maintenait le pan droit de sa robe au-dessus du massif de fleurs, les frôlant de son ourlet. Le tissu décoiffait les précieuses tulipes « à deux fleurs », qui redressaient la tête une fois passée la bourrasque de velours. Pierre Pallas avait rapporté quelques oignons de cette tulipe inconnue lors de son voyage dans l’Altaï de 1771, et le roi en avait enrichi les parterres de Versailles, comme il le faisait de toutes les fleurs rapportées d’expéditions lointaines. Ces raretés excitaient la convoitise des collectionneurs qui, sans la vigilance des gardes, en auraient déterré les bulbes et dégarni les royales plates-bandes. Certains gardes dérobaient tien eux-mêmes quelques oignons pour les revendre, ce dont ils tiraient l’équivalent d’un an de leur solde, mais ils veillaient jalousement à garder l’exclusivité de ces larcins, tout en limitant ces prélèvements à un niveau acceptable, tant pour la persistance de l’espèce, que pour les jardiniers royaux.
    Mathilde avait une ambition de botaniste plus que de collectionneuse. Malgré la saison, elle avait mis une robe de velours, en raison du fort pouvoir d’adhérence de ce tissu hérissé de myriades de cils minuscules. Les grains de pollen que la friction du tissu arrachait aux fleurs y restaient plus intimement

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