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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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sommeil. Il s’agenouilla devant le dormeur et déchaussa délicatement son pied droit. Les courtisans non priés qui n’avaient pas encore vidé les lieux eurent alors le spectacle d’un orteil à l’ongle peu soigné, griffu, qui sortait du bas par un trou béant. On sourit en se jetant des regards de connivence, mais cela glaçait le sang de la plupart. Combien étaient-ils à pouvoir retirer leur soulier sans avoir à exhiber un bas troué, ou éliminé, ou peu net ? Les yeux de l’abbé pétillaient de joie.
    — Un vrai Jésus ! murmura-t-il avec attendrissement en se penchant sur l’orteil.
    La chaussure du baron de Guéret toujours à la main, l’abbé marcha vers la porte où l’huissier n’attendait plus que lui. Au passage il jeta le soulier dans l’âtre et, parvenu à la porte, se retourna vers la salle :
    — Baron de Guéret ! cria-t-il, avant de disparaître.
    Guéret, se réveillant en sursaut à l’appel de son nom, aperçut son orteil et, de pâle vira au gris terne. Au terme d’une recherche désespérée, à quatre pattes sous les banquettes, il se jeta aux pieds de l’huissier avec des yeux fous.
    — Prêtez-moi votre soulier !
    Les huissiers sont généralement choisis pour leur port de tête altier, préfiguration de la majesté de leur maître. Il est rare que l’allure soit contredite par le caractère, et celui-ci était aussi digne qu’il en avait l’air.
    — Monsieur, je serais ridicule.
    — Pour l’amour du Christ, on a appelé mon nom, pleurait Guéret. Votre soulier !
    — Monsieur, debout. On vous regarde !
    L’huissier, impérieux, montrait le judas.
    Guéret était à genoux, le visage touchant presque les souliers vernis de l’huissier, comme s’il leur vouait un culte. Il leva les yeux vers l’oeilleton, et se mit à sangloter comme un enfant rageur, à la fois vengeur et larmoyant. L’oeil dans la moulure était braqué sur lui. L’huissier avait disparu et refermé la porte derrière lui.
    — Louis de France ! Souviens-toi que c’est la noblesse qui t’a fait roi !
    Il s’égosillait, à genoux, le regard tourné vers l’oeil.
    — La vieille noblesse de province, que tu humilies et qui s’entasse au poulailler tandis que tu décores un Peau-Rouge avec le cordon dé Saint-Louis !
    L’oeil avait disparu. Le judas s’était refermé.
    Bellegarde, resté seul dans la pièce avec Guéret, lui posa la main sur l’épaule.
    — Sortons par-derrière, dit-il. Ce n’est pas notre place.
    Il l’aida à se relever. Guéret ne pleurait plus, il reniflait, morveux, indifférent à son ridicule.
    Bellegarde lui tendit son mouchoir, et comme l’autre ne réagissait pas, lui essuya lui-même le nez. Le marquis avait toujours applaudi aux ridicules infligés avec la pointe de l’esprit, mais celui-ci était trop sauvage, trop estudiantin, pour ne pas l’attrister. Il ôta sa perruque, comme un acteur quand le rideau est tombé. Après l’ouragan qui avait couché Guéret, il ne lui importait plus d’être vu lui-même en cheveux.
    Les courtisans avaient été disposés en une seule ligne par des valets qui virevoltaient de l’un à l’autre sous les ordres du maître de cérémonie, les tirant par le bras pour les déplacer comme des quilles. Impressionnés par la Galerie des Glaces toute pavoisée des étendards des régiments d’Amériques, ils se laissaient faire comme des enfants, d’autant plus passifs que l’étiquette qui régissait leur placement leur était un mystère. Ponceludon se trouva placé à côté de Mgr d’Artimont.
    Dans le salon de la Guerre, qui prolonge la Galerie, en angle avec la façade nord, le roi accueillait un chef Pawnee conduit par les ambassadeurs. Le marquis d’Isle, lieutenant des gardes du corps, présenta au roi la médaille de Saint-Louis et son ruban rouge sur un coussin de velours bleu galonné d’or.
    Le roi prit la décoration et s’approcha de l’imposant Indien. L’homme était torse nu, vêtu d’une culotte de peau de daim, et chaussé de, mocassins. Son crâne était rasé à l’exception d’une crête, et son visage était frotté de rouge écarlate. Il portait à la ceinture une guirlande de scalps humains, et l’on pouvait distinguer, à la couleur, les chevelures des Indiens de celles des Anglais.
    Un collier de griffes alternées de plumes d’aigle barrait sa poitrine, avec un autre de dents, de coquillages et de doigts humains momifiés. Le roi y ajouta le ruban de

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