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Ridicule

Ridicule

Titel: Ridicule Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Remi Waterhouse
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L’évêque vit son mot laborieux se perdre dans l’oreille de l’Indien.
    Au moment même où le roi achevait la cérémonie, une promeneuse passait dans l’ombre fraîche des châtaigniers de l’allée la plus septentrionale du parterre nord. Elle y fit une bien horrible rencontre. Sous la ramure, le baron de Guéret se balançait doucement au gré du vent. Pendu à la main tendue de la statue de Diane chasseresse, il tirait la langue à son orteil.
    Le lendemain à l’aube, Ponceludon et Bellegarde étaient seuls au carré des nécessiteux du cimetière de Versailles. Personne n’ayant manifesté le désir de veiller Guéret, on l’avait enterré sans délai à cause de la chaleur. La prière des morts récitée et le cercueil béni, le prêtre maussade et son enfant de choeur quittèrent les lieux. Les fossoyeurs n’avaient pas encore fini de creuser, et le cercueil attendait d’être descendu. Bellegarde dévisageait le plus âgé d’entre eux.
    — Il y a longtemps que tu travailles ici, il me semble. Tu as connu le feu roi ?
    — Oui da, dit l’autre sans le regarder ni cesser de creuser.
    — Ah, le feu roi ! lança Bellegarde pour amorcer la verve de ces hommes taciturnes et sans finesse. Lui, c’était un grand roi !
    — Il était grand comme ce trou, oui !
    Le fossoyeur interpellé venait de poser sa pelle et regardait enfin Bellegarde.
    — Que veux-tu dire, mon ami ?
    — Il nous a perdu les Amériques, votre grand roi. Ce trou aussi, il devient grand à mesure qu’on lui ôte sa terre !
    Le marquis demeura interdit.
    — Auriez-vous pensé qu’un homme si fruste pût avoir l’esprit aussi agile ?
    — Pour ma part, j’ai trop fréquenté ses semblables pour en avoir jamais douté, répondit tranquillement Ponceludon.
    Le fossoyeur s’était remis à creuser, et Bellegarde le regardait faire avec attendrissement.
    — Comment t’appelles-tu ? Et sais-tu au moins lire ?
    — On m’appelle Gros-Caillou, et je ne sais point lire, mais je sais compter de tête.
    — Es-tu coutumier de ce genre de reparties malicieuses ? Et fais-tu souvent rire tes amis ?
    — On m’invite à toutes les noces !
    — Viens avec nous boire une chopine... je voudrais bien t’entendre !
    — Dame ! Je ne peux point m’éloigner... on pourrait voler ma tranchée !
    Bellegarde vivait de ces instants coperniciens où les dogmes les mieux établis vont cul par-dessus tête.
    — « Voler la tranchée »... Magnifique ! Un « amphigouri » ! Et il ne sait même pas lire !
    Il se retourna vers son compagnon, mais Ponceludon quittait déjà les lieux, sans plus prêter attention aux émerveillements du marquis.
    Bellegarde le rejoignit, toujours conjecturant la substance de l’esprit, et ils se dirigeaient vers la grille du cimetière, quand le marquis fit un détour pour s’arrêter devant une tombe. C’était celle du vicomte de Morchois. Ponceludon attendit à la grille que Bellegarde ait fini de se recueillir.
    — Croyez-le ou non, Ponceludon, dit-il en montrant la tombe qu’il venait de quitter, mais cet homme est enterré à ma place.
    Le jeune homme pensif et sombre ne prêtait guère attention aux paroles de son ami. Pouvait-il se sentir innocent de la mort de Guéret ? Il avait joué sa partie dans la curée contre le malheureux, La Dombes pouvait-elle justifier qu’il oubliât les principes d’humanité de son père ? Mathilde avait raison, qui lui prédisait qu’il « deviendrait comme eux ». Gomme le jeune homme se taisait, Bellegarde se sentit invité à raconter.
    — M. de Morchois s’était fait une spécialité de se laisser attribuer les mots d’esprit des autres, dit le marquis. On le créditait d’une infinité de traits que d’autres avaient dits, sans même qu’il ait à les revendiquer. Un certain air de sphinx très entendu qu’il prenait quand on lui rapportait un trait anonyme, était la cause qu’on lui en faisait immédiatement l’honneur. Au grand jamais il ne démentait...
    Ponceludon reprenait son chemin en silence, continua son récit.
    — Vous savez, Ponceludon, que j’avais en ce temps-là l’esprit assez délié. J’avais commis le distique que voici sur M. de Loigne :
    Contre les lois de la perspective, Loigne,
    Se grandit fort à mesure qu’il s’éloigne.
    On s’accorda à le trouver piquant, et l’air de sphinx entendu de Morchois le lui fit promptement attribuer, vous imaginez si j’en fus dépité.

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