Ridicule
Ne vous inquiétez pas. Il n’arrivera jamais à la table du roi. J’en fais mon affaire.
Elle réfléchit un instant, puis sourit :
— Que diriez-vous d’un souper ? On y servirait un cuisant ridicule à M. Ponceludon de Malavoy.
L’abbé ferma les yeux et sourit à son tour. Il n’avait rien à craindre, pensa-t-il, aussi longtemps que la comtesse présiderait à son ascension.
Amélie de Blayac passa à sa toilette et congédia l’abbé pour recevoir les visites. Des voeux de rétablissement convenus auxquels s’ajoutait la plupart du temps le récit des accidents de cheval familiaux.
À cinq heures, les visites étaient finies. Elle étudiait son menu du soir tandis qu’on la coiffait, quand le portier vint lui annoncer la visite de Mathilde de Bellegarde.
— Faites entrer.
Après avoir salué sans grâce, Mathilde resta debout, malgré le geste de la comtesse l’invitant à s’asseoir.
— Mademoiselle de Bellegarde ! Votre père nous chante mille louanges sur vous, mais il vous cache. La cour aura-t-elle un jour l’honneur de votre présence ?
Un musicien aurait pu transcrire en notes les inflexions vocales de la comtesse, tant elle usait avec virtuosité et précision de bondissements expressifs dans la gamme de ses intonations. Cette entrée en matière était chantée sur l’air de 1’« étonnement ravi ». Mathilde, butée, ne se départit pas de son air déterminé.
— Madame... vous avez exigé que mon père renvoie Paul, le fils de notre gouvernante. Je viens vous demander sa grâce.
— Il fallait l’empêcher de nuire, repartit Mme de Blayac en renvoyant sa camériste. Le mal est fait.
— Il ne pensait pas à mal... C’est un pauvre sourd-muet...
— Justement, coupa la comtesse. Il sera beaucoup mieux avec ses semblables.
Elle ponctua cette conclusion d’un sourire engageant qui était une invitation a abandonner ce terrain peu propice à la belle conversation.
— Il a toujours vécu parmi nous ! protesta Mathilde en ignorant les signes de lassitude que manifestait son hôtesse.
Vous n’êtes pas venue me voir pour me parler de ce pauvre garçon ? s’impatienta la comtesse.
Mais elle se radoucit aussitôt pour reprendre d’un ton plus moelleux :
Vous avez beaucoup de crédit auprès de moi, je suis très attachée à votre père.
Avant d’ajouter sur l’air du sous-entendu prometteur :
Et je peux beaucoup pour mes intimes. Le moment venu, je vous le prouverai.
Madame, Paul...
La comtesse quitta sa coiffeuse et se posa délicatement dans le sofa, indiquant d’un geste souverain le fauteuil qui lui faisait face. Mais Mathilde ne bougea pas.
Vous êtes encore une enfant. Oubliez ce demeuré. Comment se porte M. Ponceludon de Malavoy ? Quel brillant causeur !
Mathilde savait maintenant que sa démarche était vouée à l’échec. Elle avait dû faire taire orgueil, timidité et jalousie pour entreprendre cette visite, et non seulement sa rivale la traitait d’« enfant », mais elle y ajoutait encore l’intransigeance la plus tranchante.
— Il se porte le mieux du monde, répondit-elle. Adieu madame.
La comtesse voulut la retenir.
— Votre père nous avait dit que vous étiez savante, il avait oublié votre beauté.
Et elle ajouta avec un tendre sourire protecteur qui déniait toute rivalité entre elles :
— Et vous avez sans doute beaucoup d’esprit.
— Non, madame, répondit tristement Mathilde.
La comtesse n’avait encore entendu de réponses aussi simples que dans la bouche de ses gens. Jamais une personne de qualité n’aurait eu l’idée d’aller à l’essentiel, là où on pouvait faire une arabesque. Seul le mot d’esprit donnait droit à la brièveté. Encore n’était-il pas l’essentiel, mais plutôt le raccourci.
Mathilde esquissa une révérence et tourna les talons sans attendre que le valet la raccompagne.
Le lendemain matin, on alla attendre le coche de bonne heure. Charlotte, chargée d’un panier plein de vivres, s’accrochait à son fils. Paul se laissait conduire docilement, craintif, mais résigné à un sort qu’il ignorait et pressentait funeste. La mine éplorée de sa mère, les visages graves du maître et de sa fille n’étaient pas pour le rassurer. Ces derniers jours, il s’était senti l’objet de regards plus nombreux, et de plus nombreuses attentions de sa mère. Bien que son entendement privé de langage fût peu apte à saisir les enchaînements des causes, il
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