Rive-Reine
expiatoire pour les péchés du monde. À Genève, on prêchait le salut par les œuvres, en faisant plus souvent référence aux philosophes grecs qu’aux évangélistes. Nos réformés ne se voyaient ni corrompus ni condamnés. Je ne suis même pas sûr qu’ils croyaient au Saint-Esprit. Ils répétaient cependant aux cultes la confiance qu’ils lui portaient. En réalité, chacun comptait s’en tirer seul avec une sorte d’orgueil, comme si tout réformé pouvait négocier son salut éternel directement avec Dieu ! C’est pourquoi nos momiers sincères disent que la théologie a sombré dans le rationalisme vulgaire, l’oubli de l’Évangile, pour devenir un système, qu’ils nomment… le genèvianisme.
– N’ont-ils pas raison ? demanda Axel.
– Pour les chrétiens sincères, certes, car ils dénoncent le conformisme routinier dans lequel est tombé, depuis longtemps, le clergé protestant, installé dans son autorité religieuse et politique. Les pasteurs, qui tiennent le haut du pavé, se satisfont de l’observation des règles et de la célébration des services. Les momiers estiment, au contraire, que le sentiment religieux doit se manifester dans tous les actes de la vie, afin de fortifier les œuvres, susciter des missions évangéliques, en un mot redevenir un sacerdoce conquérant. Voilà.
Les meneurs du Réveil se réunissaient à l’imprimerie Pellet d’où étaient sortis, en d’autres temps, les ouvrages de Voltaire, ce qui plaisait assez à Martin Chantenoz. Le Réveil avait maintenant son journal, le Magasin évangélique , et publiait des tracts, bien que l’année précédente il eût été interdit aux imprimeurs de tirer sur leurs presses « aucun écrit de polémi que religieuse sans licence du Conseil d’État ». Le Réveil envoyait ses pasteurs porter la bonne parole dans les foyers, ce qui faisait dire à l’humoriste John Petit-Senn : « Jamais on ne vit autant de religions en chambres garnies, autant de cultes dans leurs meubles. » Le plus fameux des prédicateurs, César Malan, avait été prié par les autorités religieuses de s’abstenir dorénavant, comme les autres prêcheurs momiers, de toute interprétation personnelle de la nature divine du Christ, du péché originel, de la prédestination. Choqué par son indiscipline, le Consistoire l’avait révoqué comme pasteur et la vénérable Compagnie lui avait retiré ses fonctions de régent du collège.
Ces règlements de comptes internes réjouissaient autant, mais pour des raisons différentes, Chantenoz et l’abbé Vuarin. Le premier rapportait cependant, en se délectant, les propos du second : « La religion protestante est finie, aujourd’hui, dans sa propre métropole. C’est la ruine de Calvinopolis ! »
En rentrant à Vevey, fin mai, Axel constata que la querelle religieuse se développait aussi dans le canton de Vaud. Dès le 20 mai, une affiche avait annoncé aux Veveysans, comme aux autres Vaudois, une ère d’intolérance religieuse.
« Le Grand Conseil du canton de Vaud, sur la proposition du Conseil d’État,
» Considérant que quelques personnes exaltées cherchent à introduire et à propager une nouvelle secte religieuse ;
» Voulant réprimer des actes qui troublent l’ordre public,
» Décrète :
» Article 1 er . – Toute assemblée des partisans de cette secte, formée de personnes étrangères à la famille, pour y exercer le culte ou y célébrer quelqu’une des cérémonies de l’Église, est défendue et sera immédiatement dissoute.
» Article 2. – Les personnes qui auront présidé ou dirigé ces assemblées, y auront officié ou auront fourni le local, seront responsables et punies de l’une des peines qui suivent.
» Article 3. – Tout acte de prosélytisme ou de séduction tendant à gagner à cette secte est interdit ; et celui ou ceux qui s’en seraient rendus coupables seront punis de l’une des peines ci-après. »
Suivaient quatre articles, détaillant les peines annoncées, en rapport avec la gravité des cas : amende ne pouvant excéder six cents francs, défense d’aller ou de séjourner dans telle commune, confinement pour un an au plus dans une commune désignée, un an au plus de prison de discipline, bannissement du canton pour trois ans au plus. L’article 6 prévoyait : « Toute cause qui aura pour objet un des délits prévus par la présente loi sera
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