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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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élève qu’il appartenait, comme lui-même, à l’espèce humaine la plus mal lotie : celle des êtres doués d’une sensibilité exceptionnelle, qui endurent des souffrances insoupçonnées du vulgaire !
     
    Occupations et soucis, mobilisant l’esprit et les forces d’Axel, le protégeaient opportunément d’une aboulie stérilisante. Sa virilité, son bon sens vaudois, le réalisme dû à l’exemple de Guillaume Métaz, son attachement à sa terre, les expériences vécues avec les femmes le préservaient de cette « discordance absolue avec la nature », dont souffrait Senancour. Oberman, Childe Harold, René n’étaient que des cousins éloignés !
     
    Il eût été en paix sans l’intérêt affectueux que lui portaient les autres. Ainsi, chaque fois qu’il voyait sa mère, maintenant installée dans l’existence dont elle avait toujours rêvé, Charlotte parlait mariage. Et, naturellement, Juliane Laviron était citée comme la plus apte à faire une bonne épouse. Axel avait beau répéter que le mariage, avec ses liens, servitudes, obligations familiales et mondaines, le rebutait, sa mère répétait le même discours.
     
    Par plaisanterie, Claude Ribeyre de Béran mettait au compte de l’atavique lenteur vaudoise la dérobade d’Axel devant toute perspective conjugale.
     
    – À force de peser le pour et le contre, de comparer avantages et inconvénients, de se demander si l’on fait bien ou mal, on vieillit seul, comme moi, disait-il.
     
    Mais Axel, bien que résolu à ne plus succomber à l’étrange, malsaine et vaine passion qu’il avait longtemps vouée à la nomade rebelle à l’œil vairon, refusait, lucide et loyal, de céder à l’attirance qu’exerçait sur lui depuis des années Juliane Laviron. Ayant connu l’amour passion, il gardait le souvenir doux-amer de l’exultation fallacieuse et aveuglante dont il avait été, plusieurs fois, victime. Meurtri par les femmes, Axel tenait celles-ci à distance de cœur et de sentiments, tout en imaginant qu’un jour pourrait surgir une sylphide, qui effacerait d’un sourire tous les souvenirs heureux ou malheureux laissés par d’autres. Cette secrète espérance se doublait chez le Vaudois, engagé dans une vie rythmée par les saisons de la vigne et vouée aux affaires, d’un besoin d’imprévu qui l’incitait à se garder libre, disponible, prêt à répondre à l’appel du hasard.
     
    « Lié ou non à une femme, l’homme est seul », disait Martin Chantenoz. Alors, solitude pour solitude, ne valait-il pas mieux choisir le célibat ? Axel vivait d’ailleurs en célibataire et tout Vevey le traitait comme tel. Déjà, certaines mères de filles à marier qualifiaient M. Métaz de vieux garçon, comme le docteur Vuippens avec qui, souvent, on le voyait.
     
    Les commères savaient quand les deux amis allaient chasser en Valais, naviguer sur le lac, danser dans les villages du pays d’En-Haut, jouer au billard à l’hôtel de Londres, manger la fondue à Châtel-Saint-Denis, entendre une conférence au Cercle du Marché ou faire la ribote à Lausanne. La mère Chatard, guetteur attitré de la rue du Sauveur, qui observait, sans toujours les identifier, les visiteurs de Rive-Reine, voyait parfois Axel et Louis revenir au petit matin, la tête lourde, d’une expédition lausannoise. Elle faisait, avant midi, son rapport à l’épicière, qui diffusait l’information chez ses pratiques.
     
    – Ma bonne, c’est le cheval du docteur qui les a reconduits. C’était bien cinq heures du matin. Y faisait grand clair. Aucun des deux aurait su trouver sa route et tenir les rênes ! Un bienfait que le cheval connaisse le chemin ! C’est pas malheureux de voir des beaux hommes, instruits et moyennés 1 , s’aller perdre la santé à boire et ripailler avec des filles de rien ! Car c’est là qu’ils vont, à Lausanne. La maison à filles de Montbenon, vous pensez si on la connaît ! Mon beau-frère, le gypier 2 , y a fait des galandages 3 et posé des glaces… aux plafonds ! Aux plafonds, vous vous rendez compte ! Sur mon âme, quel vice !
     
    S’il n’eût été retenu par un certain dégoût et la crainte des maladies vénériennes, Axel se fût adressé plus souvent, en effet, aux prostituées lausannoises pour calmer les ardeurs organiques qui le prenaient de temps à autre. Il aurait, aussi, pu séduire quelque femme mariée, désœuvrée ou délaissée, mais la perspective de complications

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