Rive-Reine
convaincre que la traduction de l’Ancien Testament fondée sur l’hébreu était plus fidèle que celle, fondée sur le latin, de saint Jérôme et que seuls les livres ajoutés par les zélateurs de l’Église romaine séparaient catholiques et protestants. La défunte souhaitait aussi que l’on fît parvenir à sa petite-fille Blandine, qui ne lui écrivait qu’une fois l’an, un chapelet béni par le pape lors d’un voyage à Rome. Charlotte se trouva un peu embarrassée par cette exigence. Elle avait caché à sa mère l’abjuration de Blandine, devenue protestante comme son père et son mari.
Les nouvelles de Guillaume Métaz, qui parvinrent d’Amérique pour Pâques 1828, étaient excellentes. Son beau-père, « malade du cœur », s’étant retiré des affaires, l’exilé, devenu citoyen américain, dirigeait, seul maintenant, une des plus importantes entreprises commerciales du Massachusetts et habitait, dans le quartier huppé de Boston, un bel hôtel particulier. Cette promotion conférait au négociant une assurance nouvelle, perceptible dans le ton de sa lettre. L’homme qui écrivait à Axel était un grand brasseur d’affaires de la Nouvelle-Angleterre. On ne devait pas l’ignorer ! M. Métaz n’avait-il pas été sollicité, à plusieurs reprises, pour présenter sa candidature au sénat de l’État ? En attendant de prendre une décision politique, il investissait dans les vapeurs fluviaux qui, par l’Ohio et le Mississippi, reliaient Cincinnati à La Nouvelle-Orléans, et subventionnait l’université Harvard, à laquelle il fournissait du matériel.
Une seule ombre au tableau américain : Blandine et le premier lieutenant Lewis Calver, mariés depuis bientôt deux ans, n’avaient toujours pas d’enfant. « Il est vrai que, pris par son service de coastguardsman , mon gendre est souvent en mer et reste parfois des semaines sans dormir avec sa femme ! Ceci explique peut-être cela ! » commentait Guillaume.
Bien que très fier de sa réussite et d’une fortune naissante, « vite mais honnêtement acquise », l’exilé s’étonnait, comme chaque année, de la modicité des sommes qui lui revenaient des affaires veveysannes et recommandait à Axel d’investir dans les bateaux à vapeur. « Tu devrais en construire un de taille moyenne, deux cents passagers pas plus, mais rapide et pouvant assurer la poste, ce qui constitue un revenu fixe. Charles Ruty te trouverait facilement des associés, car l’argent dort au pays de Vaud. » Il estimait également rentable l’acquisition de parts dans les nouvelles manufactures d’horlogerie, « qui sont à la veille de fournir des montres à toute l’Amérique », affirmait-il.
Ce genre de conseils mettait Axel de mauvaise humeur pour deux ou trois jours. Guillaume le traitait tel un gérant et non comme le fils qu’il entendait conserver. Pour investir, des capitaux, qu’Axel ne possédait pas, étaient nécessaires. M. Métaz prenait, comme Blandine, suivant les accords passés en 1820, une part des profits produits par ses anciennes entreprises confiées à Axel et semblait croire que ce dernier pouvait, avec ses seules ressources, financer leur développement.
Le jeune homme évoquait souvent l’avenir de ses affaires avec Régis Valeyres. Cet intendant, comptable intègre et dévoué, savait à quoi s’en tenir sur les possibilités d’investissement qui resteraient insuffisantes, malgré la relative prospérité du moment, tant que l’Américain n’accepterait pas de renoncer, pendant trois ou cinq ans, à prélever sa part des bénéfices. C’eût été beaucoup demander à Guillaume, et Axel, par amour-propre, ne s’y risquait pas.
Il ne pouvait, non plus, compter sur l’aide de sa mère, car Charlotte refusait de soutenir de ses deniers des établissements qui appartenaient pour moitié à son ex-mari.
– Il n’est point envisageable que j’aide ce malin à gagner plus de sous avec mon argent ! avait-elle déclaré, un jour où Axel évoquait son incapacité à investir comme le souhaitait Guillaume.
Depuis ce refus sans ambiguïté, Axel n’avait plus abordé le sujet.
– La bonne solution serait de racheter les parts que votre… ancien père détient dans toutes vos affaires, proposa en revanche, un jour de mai, Pierre-Antoine Laviron.
Mais le banquier ne dit pas où trouver l’argent !
Cette conversation surgit à Rive-Reine, quand
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