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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l’indifférence. Certaines caquetaient, riaient, se poussaient du coude en regardant défiler les hommes. Parmi ces derniers, on remarquait tout de suite l’aisance des habitués du bal des amazones. Les nouveaux venus se composaient en revanche des attitudes diverses. Les uns s’efforçaient à l’allure désinvolte de don Juan dont ils arboraient le tabarro , sorte de cape couleur de muraille, et souriaient aux masques, d’autres allaient gauchement de long en large, comme sur la place Saint-Marc. Les plus effarouchés refluaient vers le buffet, afin de puiser dans le punch le courage d’affronter les filles d’Ève.
     
    Axel se planta devant un tableau accroché entre deux torchères. La toile représentait un combat naval, mais le manque d’éclairage ne permettait pas d’en distinguer les détails.
     
    – Bataille de Lépante, 7 octobre 1571. Le doge Sebastiano Venier, qui commandait cent dix galères vénitiennes, aida la flotte de don Juan d’Autriche, fils illégitime de Charles Quint, à battre le Grand Turc et à sauver la chrétienté, monsieur. Nous sommes particulièrement fiers de ce grandiose fait d’armes.
     
    En entendant ce cours d’histoire, débité en français par une voix rauque à l’accent indéfinissable, Axel se retourna vivement. La femme qui venait de s’adresser à lui portait une robe de soie rose, agrémentée de dentelle noire. Sous le domino, on devinait un buste ferme. Le visage était mince mais le regard, sous une voilette à mailles fines couvrant un masque d’or, restait flou, comme les traits. Les bras et surtout les mains, qui trahissent tôt l’âge des femmes, révélaient une personne jeune. Sous la lumière frisante des torches, la peau parut à Axel mate et satinée.
     
    Comme le jeune homme s’inclinait en silence, respectant la règle énoncée par Malorsi, l’inconnue retira son gant et lui présenta la main.
     
    – Si mon parfum ne vous déplaît pas, monsieur, accepterez-vous d’être mon chevalier servant pour ce bal ? Attention, vous ne devez répondre que oui, mais je vous autorise à dire non !
     
    – Oui, dit cependant Axel, après une légère hésitation.
     
    Il se souvenait des avertissements du comte. Le parfum suave, discret, rare – odor di femina , pensa Axel – le séduisait. Mais le masque cachait-il une courtisane, une fille de la campagne, une patricienne fanfaronne, une bourgeoise dépravée ou une drôlesse du genre de celle dont Byron avait eu tant de mal à se défaire ? Il se plut à imaginer qu’une personne sachant résumer en termes succincts et choisis la bataille de Lépante ne pouvait qu’être de bonne éducation !
     
    Tandis qu’ayant passé son bras sous celui du jeune homme l’inconnue l’entraînait vers les couples déjà formés pour la danse, Axel observa l’aisance de la démarche et, dès les premiers pas d’une sorte de menuet qui tenait les danseurs à distance, la grâce de sa cavalière. Plus tard, dès la première valse, il apprécia le corps souple, la taille fine, libre de corset, de sa partenaire et, au cours d’une forlane endiablée, la vivacité de celle-ci. « Après tout, pensa-t-il, je suis peut-être bien tombé. »
     
    Entre deux danses, pendant les arrêts au buffet, la dame posa mille questions, auxquelles Axel ne répondit, naturellement, que par oui ou non. Ce jeu, auquel le jeune homme prit vite goût, donnait un réel avantage à la femme, pour peu qu’elle sût questionner habilement son cavalier.
     
    Souvent, au fil des interrogations précises et des réponses laconiques, tous deux rirent franchement devant l’incapacité où l’inquisitrice se trouvait, malgré sa suprématie reconnue et admise, de satisfaire sa curiosité. C’est en se tenant par la main qu’ils allèrent à plusieurs reprises se restaurer. Bientôt, il ne fit plus de doute pour le Vaudois que l’inconnue était jeune, intelligente, instruite, gaie et – il le vit quand elle releva sa bauta pour porter un verre à ses lèvres – qu’elle avait une belle bouche et ces dents « blanches et bien rangées » que le président de Brosses reconnaissait déjà aux Vénitiennes.
     
    L’inconnue, soucieuse, lui sembla-t-il, de connaître la nationalité de l’élu, passa les peuples d’Europe en revue, sans penser à citer la Suisse. Elle tenta aussi de découvrir les raisons de sa présence à Venise.
     
    – Peut-être, étranger, êtes-vous sur la lagune pour une affaire

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