Rive-Reine
Axel.
Blaise approuva d’un signe de tête et quand, plus tard, Métaz avertit Lazlo, le Tsigane lui prit les mains et le remercia d’avoir pensé à l’employer en cette circonstance.
Durant les semaines qui suivirent, la Suisse – le pays de Vaud notamment – connut une nouvelle effervescence, provoquée par l’arrivée de nombreux réfugiés polonais.
Après l’échec de l’insurrection de 1831, la Pologne ayant été partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche, plus de dix mille réfugiés étaient arrivés en France, où ils avaient été d’abord bien accueillis. Quand, au commencement de l’année 1833, une insurrection étudiante éclata à Francfort-sur-le-Main et que les insurgés, se réclamant de la Jeune Allemagne, menacèrent la Diète francfortoise, les officiers et soldats polonais résidant en France, entre le Jura, les Vosges et la Bourgogne, décidèrent d’aller prêter main-forte aux étudiants, que le peuple ne semblait pas disposé à suivre.
Les anciens de l’armée du général Chlopicki prirent, par centaines, la direction de Francfort, via la Suisse. C’est ainsi qu’au mois d’avril les Bernois virent arriver dans leur ville quatre cent trente-huit Polonais, qui venaient d’être refoulés par les troupes du grand-duché de Bade. La répression ayant triomphé de la révolte conduite par la Burschenschaft 10 , leur expédition devenait inutile, même impossible. Entre-temps, la France leur avait fermé ses frontières, le gouvernement de M. Thiers ne souhaitant pas accueillir à nouveau ces trublions qui, ayant raté leur propre révolution, voulaient se mêler de celles des autres. De nombreux Polonais ne souhaitaient d’ailleurs pas retourner en France où, affirmaient-ils, « ils étaient surveillés comme des vagabonds ». De toutes parts refoulés, ils ne pouvaient que demeurer en Suisse, dans une sorte d’internement accepté.
Les Bernois, assez bien disposés à l’égard de ces réfugiés, se demandaient cependant que faire des Polonais. Ils avaient déjà ouvert une souscription, et un ancien soldat suisse de la Grande Armée, qui avait vécu le désastre de la Berezina, venait de publier un article pour rappeler qu’en ce temps-là les Suisses en retraite avaient été bien reçus et soignés par les Polonais. On devait donc à ces proscrits quelque reconnaissance. Les Zurichois, en revanche, avaient déjà fait savoir qu’ils ne voulaient pas de ces réfugiés, prêts à s’employer à toute révolution.
Cependant, les Polonais avaient toujours été bien admis en Suisse, notamment l’un des plus grands d’entre eux, le général Tadeusz Kosciuszko 11 . Les Veveysans le connaissaient puisqu’en 1817, après avoir rendu visite à Pestalozzi, à Yverdon, en compagnie de la princesse Jablonowska et de sa fille, le proscrit s’était installé à Vevey pour excursionner. Lors d’une promenade, il avait fait une chute de cheval, apparemment sans gravité, qui n’avait provoqué que quelques contusions à la jambe. Il avait ensuite gagné Soleure, où il s’était alité pour mourir, au cours de la nuit du 15 au 16 octobre. Ses amis affirmaient que la chute de cheval avait hâté la fin de cet homme de soixante et onze ans.
Dans le canton de Vaud, ce que certains conservateurs appelaient l’invasion polonaise conduisit le gouvernement libéral à « pourvoir à la protection de ses frontières par des détachements de troupes ». On vit cependant arriver, tout d’abord par Yverdon et Sainte-Croix, un groupe de vingt-deux Polonais, puis une foule d’autres, qu’on laissa entrer. À la fin du mois d’avril, on en comptait plus de cinq cents, entre Porrentruy, Délémont, Neuchâtel et Lausanne. De nombreux officiers – trois colonels, six lieutenants-colonels, douze majors, soixante-huit capitaines, quatre-vingt-dix-huit lieutenants – ne rêvaient que de reprendre le combat pour libérer leur patrie. Ils venaient de constituer une Sainte Légion, gouvernée par un Conseil économique chargé de gérer les dons reçus. Ce Conseil siégeait à Porrentruy, dans le Jura bernois.
À Lausanne, comme à Genève, à Berne et à Bienne, des comités de secours réunissaient des fonds à l’intention des Polonais. Très émus par le suicide du jeune lieutenant d’artil lerie Szablicki, désespéré de ne pouvoir regagner sa patrie, les membres du Grand Conseil vaudois, réunis le 9 mai, avaient pris
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